Don Carlo à l’Opéra de Marseille

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Don Carlo à  l’Opéra de Marseille. Photo: Christian Dresse
Don Carlo à l’Opéra de Marseille. Photo: Christian Dresse

“Après tant de mois de répétitions cela aurait dû être meilleur!”.

Voici l’opinion de Giuseppe Verdi à l’issue de la première représentation en français de Don Carlos à l’Opéra de Paris le 11 Mars 1867. S’il ne se soucie guère du succès mitigé que vient de recevoir son nouvel ouvrage, en éternel insatisfait il ne peut que se plaindre de la qualité d’exécution.

Don Carlos, d’après un drame de Friedrich Schiller, qu’il intitulait lui-même “tableau de famille d’une maison royale”, fut composé en français dans le style “Grand Opéra” mais connu sa version définitive en italien (après maintes révisions). C’est donc la version italienne en 4 actes (dite “de Milan”) qui a été choisie par l’Opéra de Marseille pour clôturer en beauté une fort belle saison lyrique riche en succès.

Don Carlo est une fresque grandiose où, pour la première fois, la voix de baryton est utilisée pour incarner un homme généreux et sincère – un peu idéaliste – et non pas un traitre comme souvent. Il accorde également aux voix de basse un rôle prépondérant en leur confiant notamment un magnifique duo à l’acte 3, précédant le superbe monologue de Philippe II (“ella giammai m’amo…”). Encore une fois il sonde l’âme comme peu de compositeurs savent le faire.

Pour rester fidèle à l’esprit de Verdi, il fallait une qualité d’exécution quasi irréprochable. Pour cela il était indispensable de faire appel aux meilleurs artistes, et c’est ici un pari quasiment réussi, à l’exception de quelques points négatifs (partant du principe que la perfection n’existe pas). C’est surtout visuellement que cette production est loin d’être parfait, cet avis étant purement subjectif. Disons le franchement : les décors sont laids ! Des blocs de béton gris suspendus – qui ne bénéficient que trop rarement de jolies projections – et des arbres en cage pour figurer le jardin à la scène 2 de l’acte 1. Côté accessoires ce n’est pas mieux : pas de chaises, de fauteuil ou de bureau, et ne cherchez pas non plus le coffret à bijoux il n’y en a pas. Le vide le plus complet qui voit ainsi le roi déposer son vêtement au sol et sortir de sa poche un médaillon au bout d’une chaîne. Il y a heureusement de fort belles projections et vidéos, notamment à la scène 2 de l’acte 2 devant la cathédrale de Valladolid où le peuple est réuni pour assister à l’autodafé.

En revanche les costumes de Katia Duflot sont encore une fois magnifiques. Cette femme a du génie pour créer des costumes à la fois beaux et faciles à utiliser par les chanteurs (“c’est quand même la moindre des choses” me confiait-elle, “il faut tout faire pour que les chanteurs se sentent à l’aise”).

Elle est tout à fait complémentaire du metteur en scène Charles Roubaud qui signe une mise en scène traditionnelle, sobre, lisible et efficace. Avec lui pas de transpositions souvent choquantes parce que trahissant l’œuvre. Inutile de chercher à savoir ce qu’il a voulu sous-entendre : tout est clair, facile à comprendre, et c’est très bien ainsi.

Vocalement on assiste à du très bon et du moins bien, tout en rappelant qu’il s’agissait d’une première et souvent de prises de rôles pour les principaux interprètes.

Le rôle-titre est tenu par le ténor Téodor Ilincaï, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’on l’entend ! Un chant tout en force, alors qu’il est capable de nuances et de mezza-voce qu’il n’utilise hélas que trop peu. C’est d’autant plus regrettable que son timbre est clair, splendide, les aigus faciles et l’interprétation convaincante. Un peu plus de contrôle dans sa puissance vocale rendrait son chant beaucoup plus agréable à écouter.

Don Carlo à  l’Opéra de Marseille. Photo: Christian Dresse
Don Carlo à l’Opéra de Marseille. Photo: Christian Dresse

Il est tout à fait à l’opposé du baryton Jean-François Lapointe, à qui l’on pourrait presque reprocher le contraire. Son chant, d’une grande élégance, est parfois si confidentiel (notamment dans le médium et le grave) qu’il en devient quasiment inaudible. Les fins de phrases se perdent souvent alors qu’il est parfaitement capable d’une belle projection comme il le prouve dans la scène de la prison à l’acte 3, au moment de sa mort. Pourquoi chante-t-il au fond de sa gorge ? Pourquoi n’arrive-t-il pas à se libérer et ainsi nous faire profiter au maximum de son beau timbre ? Avec une plus grande fréquentation de ce rôle il y arrivera certainement.

Il devrait prendre exemple sur la basse Nicolas Courjal qui incarne un Philippe II qui marquera les mémoires. Il n’a pas seulement l’allure royale, il en a aussi le timbre. Son étendue vocale est impressionnante : il possède un médium magnifique mais également des aigus lancés avec assurance et brillance. Les graves ne sont peut-être pas aussi bas que l’exige la partition, mais lui aussi va certainement peaufiner son personnage et en tirer rapidement la quintessence. Il campe un roi encore jeune mais pliant déjà sous le poids de sa royale charge. Il aime, mais n’est pas aimé. Il règne mais reste soumis à l’Inquisition. Il est donc forcément insatisfait, ce qui le conduit à prendre des décisions qui ne font qu’aggraver les tourments de son âme.

Sa principale “victime” est Elisabetta, qu’il a épousé alors qu’elle était promise à son fils Carlo. Dans ce rôle on entend, pour la première fois sur la scène marseillaise, la soprano Yolanda Auyanet. C’est une très belle femme avec une jolie voix faite pour ce rôle. Elle possède un timbre agréable, une bonne projection, et surmonte les difficultés avec facilité. Peut-être lui manque-t-il également un peu de personnalité pour véritablement “entrer dans la peau de son personnage”. On a l’impression qu’elle le survole sans jamais vraiment oser s’exprimer pleinement, exactement à l’image du baryton. Elle arrivera certainement à s’affirmer en interprétant plus souvent ce rôle.

Rien de cela pour la bouillonnante mezzo Sonia Ganassi dans le rôle de la princesse Eboli ! Elle ne chante pas elle vibre ! Elle ressent la musique au plus profond de son corps et de son âme. Elle nous communique toutes ses émotions par sa voix chaude, ample et superbement projetée, sans jamais en faire trop. Elle est d’une si grande musicalité que l’
on reste en suspens à chaque phrase. Sa longue fréquentation du répertoire belcantiste (Rossini en tête) lui permet d’aborder les vocalises de la chanson du voile, à la scène 2 de l’acte 1, avec une facilité déconcertante. Sa formidable interprétation scénique restera un grand moment de cette soirée.

Impossible de passer sous silence la belle prestation de l’Inquisiteur Wojtek Smilek, qui fait jeu égal avec le roi à l’acte 3. Dans des rôles moins importants, mais pourtant essentiels à l’œuvre, il faut souligner la belle unité des Députés Flamands ainsi que la jolie voix céleste d’Anaïs Constant, sans oublier les chœurs toujours magnifiques.

Mais que serait un opéra sans un orchestre et un directeur pour le diriger ? Une coquille vide ! Encore une fois nous avons assisté à une telle maitrise orchestrale que l’œuvre toute entière en a été sublimée. Précision, netteté, délicatesse, justesse, sensibilité… on pourrait continuer la longue liste des qualificatifs attribués à Maître Lawrence Foster. Verdi était un génie, Foster en est un autre ! Lorsqu’on sert aussi bien la musique, ce qualificatif n’est pas exagéré.

On sort de cette représentation sous le choc et le charme, avec une seule envie : y retourner !

Corinne Legac

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