Festival d'opéra de Munich: un Obéron plus grotesque que féerique

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Festival d'opéra de Munich: un Obéron plus grotesque que féerique. Photo: W. Hösl
Festival d’opéra de Munich: un Obéron plus grotesque que féerique. Photo: W. Hösl

«Obéron est […]du domaine des féeries souriantes, gracieuses, enchanteresses. Le surnaturel dans Obéron se trouve si habilement combiné avec le monde réel, qu’on ne sait précisément où l’un et l’autre commencent et finissent, et que la passion et le sentiment s’y expriment dans un langage et avec des accents qu’il semble qu’on n’ait jamais entendus auparavant.»

C’est du moins ce qu’en exprimait Hector Belioz après avoir assisté à la première de l’Obéron parisien de 1857. 160 ans ont passé, et on a peine à le croire en assistant la représentation du Bayerische Staatsoper qui transforme Obéron en une grosse farce satirique et fait une part plus belle au théâtre qu’à l’opéra. Le dernier opéra du malheureux Carl Maria von Weber qui, affaibli par la tuberculose, était encore parvenu à réviser la partition et à adapter le livret pour en donner une version allemande, l’opéra ayant été composé en anglais pour le public londonien. Webermeurt à 39 ans de tuberculose et ne connaîtra pas la première allemande de son dernier opéra donnée à Leipzig en décembre 1826, six mois après la mort du compositeur romantique.

Il est certes audacieux de s’attaquer à la production d’un opéra qui ressort davantage d’une pièce de théâtre entrecoupée de passages chantés et dont le livret basé sur le poème de Christoph Martin Wieland  tient tellement du salmigondis qu’on peut à juste titre se demander ce que Berlioz avait bien pu voir et apprécier le soir de la première parisienne. Le jeune metteur en scène Nikolaus Habjan ne semble pas s’être longuement attardé sur la question et s’est emparé du sujet pour le mettre au service de son théâtre de poupées de ventriloques surdimensionnées. Il transpose la féerie romantique dans un laboratoire de savants fous des années soixante: la question de savoir si la fidélité en amour relève du possible dont débattent Obéron et Tatiana n’est plus traitée par la magie mais par les moyens d’expérimentations pseudo-médicales à base de tests de Rorschach, d’usage de psychotropes, de prélèvements sanguis, d’électro-chocs ou d’analyses électro-magnétiques. On est dans le monde de la grosse farce burlesque. Les chanteurs doivent d’abord se transformer en comédiens, ce qui n’est sans doute pas leur premier métier. Viennent si adjoindre trois vrais comédiens, Manuela Linshalm, Daniel Frantisek Kamen etSebastian Mock, qui incarnent les Pucks et qui se révèlent d’excellents manipulateurs de poupées ventriloques. Une fois que l’on est parvenu à avaler l’énorme pilule de la soirée qu’est le détournement d’un opéra romantique, on peut se mettre à apprécier le travail de ces comédiens et leurs drôleries. Les poupées sont quant à elles très réussies. Le décor de Jakob Brossmann représente un gigantesque laboratoire cerné de grands ordinateurs aux multiples lampes clignotantes d’avant la miniaturisation. Le metteur en scène, qui trouve que «le théâtre de marionnettes est en soi quelque chose de très musical», n’a pas vraiment  fait dans la dentelle. Les décors semblent réalisés à l’économie, ainsi de ce silhouettage d’un Bagdad de conte de fées porté par des roues de bicylettes, ou ces vagues kanagawesques à la Hokusai sensées représenter la tempête et auxquelles Rezia s’accrochera avec une emphase burlesque. Les costumes de Denise Heschl, très réussis, participent du projet, ainsi des uniformes aux manteaux gonflés des elfes, aux coiffures en bol très années 60, ou des corsages de gros seins nus aux tétons rougis du choeur des naïades.

 

Oberon en Munich. Foto: W. Hösl
Festival d’opéra de Munich: un Obéron plus grotesque que féerique. Photo: W. Hösl

Le problème de la farce tient précisément à ce qui fait son succès dans d’autres circonstances, c’est-à-dire dans les répétitions. Ce qui fonctionne au cirque dans les numéros des Augustes et des clowns n’est pas transposable à l’opéra; repasser les mêmes plats à la même sauce pendant plus de trois heures finit par écoeurer. Une partie du public s’éclipse d’ailleurs discrètement à l’entracte. L’option de la satire outrancière ôte aussi au pouvoir magique de la musique et du chant. Ivor Bolton, dont on connaît par ailleurs l’immense talent, et l’excellent orchestre ne parviennent pas véritablement à connecter la fosse à la scène ni à installer la «grâce exquise et étrange» de «cette musique essentiellement élogieuse» au «parfum subtil» (les mots sont de Berlioz). Comment en effet parvenir de la fosse à entretenir des «rapports intimes et charmants» avec  ce qui se passe sur la scène? Le hiatus est par trop grand. Les chanteurs doivent investir beaucoup de leur énergie à jouer les comédiens burlesques et à donner dans l’emphase. Tenant la partie d’Obéron, un rôle-titre qui est loin d’être le rôle principal, Julian Prégardien paraît sous-employé tout en nous réservant de très beaux moments. Annette Dash n’a qu’un contrôle approximatif du rôle de Rézia, principalement dans la tenue des aigus forcés et parfois quasi criés de la première partie. Son jeu théâtral est par contre parfait d’exagération et en parfaite adéquation avec les visées de la mise en scène. Malgré la partie qu’on lui fait jouer, elle rend avec beaucoup de finesse et de subtilité les mélodies tant qu’elle reste dans le registre médiant. Son chant de bravoure a davantage de consistance en deuxième partie. Brenden Gunnen dans son interprétation de Huon de Bordeaux ne parvient pas à charpenter son rôle ni à en exprimer la dimension héroïque, mais il est vrai que la composition caricaturale du personnage n’y prête pas. Le rôle exige théoriquement des qualités de maîtrise de la ligne de chant et de la facilité dans l’aigu et un physique de jeunes premier, mais ces qualités ont été oubliées dans la conception farceuse qu’en a voulu donner la mise en scène. Les rôles secondaires sont tenus avec plus de bonheur, ainsi de la délicieuse Fatime de Rachael Wilson, qui appartient à la troupe du Bayerische Staatsoper depuis la saison dernière, et du Scherasmin de Johannes Kammler, une valeur montante de l’Opéra Studio munichois.

La production est  diffusée le 30 juillet à partir de 18 heures en live-stream par la STAATSOPER.TV

Luc Roger

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