Frau Schindler, une création mondiale du Theater-am-Gärtnerplatz

Frau Schindler
Frau Schindler

Le Theater-am-Gärtnerplatz est à nouveau à l’avant-garde des scènes allemandes en montant en création mondiale l’histoire de la Schindler Liste ciblée du point de vue féminin d’Emilie Schindler, la femme d’Oskar Schindler, un drame historique que Steven Spielberg avait porté avec un énorme succès à l’écran en 1993, sur base du roman homonyme de Thomas Keneally paru en 1982 (Caroline Goodall y interprétait le rôle d’Emilie).  La composition musicale du nouvel opéra a été commandée à Thomas Morse qui a travaillé lui-même sur le livret, en étroite collaboration avec Kenneth Cazan qui en a également assuré la mise en scène

La nouveauté de cette création est d’avoir centré le récit sur la perception et les actions d’Emilie Schindler, une riche héritière qui passe progressivement du rôle de femme trompée et exploitée, témoin atterré des événements, à celui de femme engagée et de mère courage.

Emilie Schindler

Émilie Pelzi Schindler (1907, Alt Moletein – 2001, Berlin) est surtout connue pour avoir été la femme d’Oskar Schindler, qu’elle épousa en  1928. Comme son mari, elle a été proclamée Juste parmi les nations en 1994 par l’Etat d’Israel pour sa participation, avec son mari, au sauvetage de 1 200 Juifs promis à la mort dans le camp de concentration de Plaszów durant la Seconde Guerre mondiale. On peut lire l’histoire de ce sauvetage sur le site du mémorial Yad Vashem 

Après la guerre, le couple émigra en Argentine, avant de se séparer en 1957, Oskar rentrant alors travailler en Allemagne sans plus jamais donner de ses nouvelles à sa femme. En 1993, lors de la sortie du film de Steven Spielberg, touchant une pension mensuelle de 650 dollars du gouvernement allemand ainsi que de courts émoluments de la part d’Israël. En 1998, le gouvernement argentin décida de lui accorder une pension de 1000 dollars par mois pour améliorer sa situation financière. Émilie Pelzi Schindler est finalement rentrée dans son pays natal, où elle est décédée à Berlin en 2001 à l’âge de 93 ans.

L’opéra en trois actes est présenté en deux séquences, les deux premiers actes qui relatent le projet d’Oskar Schindler et la fondation de l’usine de munitions occupant 1200 juifs jusqu’à la libération sont joués en enfilade (un peu plus d’1H30). Après l´entracte, le troisième acte, de 30 minutes, s’intéresse à la fuite des Schindler vers la Suisse, à leur installation en Argentine et à leur séparation.

D’entrée de jeu ce sont les graves problèmes du couple Schindler qui concentrent l’attention. Kevin Knight, responsable tant des décors que des costumes, s’est accommodé de la salle munichoise de la Reithalle, un ancien manège qui ne dispose d’aucune machinerie. Il y a installé un vaste plateau tournant, une manière de souligner peut-être que, dans son appartement de Cracovie, le couple tourne en rond dans ses sempiternelles disputes causées par les infidélités aussi répétées qu’ostensibles d’Oskar et par son recours incessant à la fortune personnelle de sa femme pour sauver une entreprise au bord de la faillite. Emilie se sent malheureuse des manigances de son mari avec les autorités nazies et est horrifiée par son idée d’employer sans rémunération de la main d’oeuvre juive qui équivaut selon elle à de l’esclavage, d’autant que son mari joue les séducteurs auprès des femmes des gradés qu’il veut corrompre en leur promettant de gras pourcentages. Kevin Night réussit d’excellents costumes qui rendent exactement l’habillement de l’époque (avec un magnifique travail sur les coiffures). Oskar s’absente ensuite pour plusieurs semaines, laissant sa femme malade et sans presque prendre de ses nouvelles, et revient pour annoncer que l’usine doit être délocalisée à Brünnlitz, ce qui correspond à la réalité du déplacement de l’usine de Cracovie, et des 1200 Juifs qui y sont emplyés, vers Brünnlitz (aujourd’hui en Tchéquie) en octobre 1944. Emilie Schindler s’implique de plus en plus dans le soutien aux travailleurs forcés. L’horreur atteint son comble quand les autorités nazies veulent diriger sur Ausschwitz un train censé transporté les Juifs vers Brünnlitz. Emilie, qui connaît le responsable nazi chargé de l’opération se rend aussitôt en ses bureaux pour le convaincre de faire parvenir les Juifs à la destination initialement prévue. Plus avant, elle sauve encore 200 autres Juifs entassés dans un wagon scellé o’u ils meurent de faim et de froid. Le deuxième acte se termine quand la fin de la guerre est annoncée par la radio.

Au troisième acte, les Schindler se sont joints à quelques-uns de leurs travailleurs juifs pour tenter de gagner la Suisse par le train, représenté par un compartiment unique sur le plateau tournant. Ils sont arrêtés à la frontière par les autorités helvétiques car le nom d’Oskar figure parmi la liste des espions. Les Juifs prennent alors avec force le parti des Schindler qui sont finalement autorisés à pénétrer le territoire suisse. Le temps s’accélère; des années plus tard on retrouve le couple en Argentine. Oskar finit par retourner seul en Allemagne. Le changement des grimages et des costumes de cet dernier acte est stupéfiant, aussi rapide que réussi pour le personnage d’Emilie, qui termine en vieille femme.

Frau Schindler
Frau Schindler

Si la tension dramatique est réussie, c’est davantage dû à la musique et aux jeux scéniques qu’au livret qui pèche par un recours constant à l’histoire racontée. Cela se constate dès le début de l’opéra: Emilie, assisse à sa coiffeuse, nous fait le récit de son passé. Ce procédé narratif est systématiquement employé, ce qui fait que souvent le public prend connaissance du cadre par le biais du discours plutôt que par le ricochet des dialogues et des scènes jouées, ce qui introduit aussi une distance par rapport à la tension dramatique. Ce problème d’écriture est heureusement composé par le jeu de scène des protagonistes, et spécialement par la qualité des interprètes féminines: la Tchèque Katerina Hebelková incarne de manière époustouflante Emilie Schindler, avec une puissance et une justesse tant du jeu dramatique que de la voix, magnifiquement projetée, et une interprétation extrêmement sensible et vraie de son personnage. Elle porte véritablement l’opéra d’un bout à l’autre et contribue largement au succès de la soirée, avec une capacité à rendre par de très belles compositions successives le vieillissement de la protagoniste. Jennifer O’Loughlin qui joue la servante Marthe Marker et Elaine Ortiz Arandes en Frau von Daubek réussissent des interprétations de la même eau. Mathias Hausmann donne quant à lui beaucoup de substance au personnage d’Oskar Schindler dont il transmet avec talent la complexité et la duplicité :un homme partagé entre le souhait de sauver son entreprise et l’appât du gain,  et dont l’idée au départ retorse le mène à s’engager dans une lutte dangereuse pour sauver 1200 vies humaines.

La composition musicale néo-romantique de Thomas Morse doit beaucoup aux techniques des musiques de film qui ont fait le succès du compositeur (notamment la musique de The Big Brass Ring): une musique contemporaine émotionnelle qui a le grand avantage d’être de réception facile dès la première audition. Le compositeur s’est beaucoup documenté sur l’histoire des Schindler en lisant une énorme documentation et en se rendant sur les lieux de l’action, un travail qui rend sa composition très authentique et sincère. On a l’impression d’une musique née d’une connaissance par le coeur. Thomas Morse a su aussi approcher l’histoire extrêmement sensible et délicate de l’holocauste sans jamais tomber dans une dramatisation à effets trop faciles. Ainsi de ces parties de la partition qui rendent compte de l’âme juive avec une grande sensibilité par le biais du chant de prière d’un Kantor qui s’élève dans la halle de l’usine. Le composition vocale va surtout dans le sens du théâtre chanté avec davantage de juxtapositions de solos, souvent sans accompagnement musical, les ensembles étant plutôt rares.  Le chef Andreas Kowalewitz dirige avec talent un orchestre placé sur podium de fond de scène, ce qui a pour effet d’ajouter à l’effet intimiste d’une production dont l’actualité mondiale des derniers mois dernières années augmente encore, s’il est possible, le caractère tragique.

Prochaines représentations

L’Opéra se joue à la Reithalle de Munich jusqu’au 19 mars 2017. Pour réserver en ligne, cliquer ici

Luc Roger