Revue de l'opéra. Moise et Pharaon. Rossini. Marseille

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Corinne LE GAC

Opéra de MARSEILLE, 14 Novembre 2014

 

Depuis plusieurs années le Directeur de l’Opéra de MARSEILLE, Maurice XIBERRAS, fait le choix d’offrir à son public une alternance d’ouvrages particulièrement connus (« La Bohème », « Tosca »…) et des créations ou des redécouvertes. C’est encore le cas pour cette saison qui s’ouvrait le mois dernier sur « La Gioconda », se poursuivra au début de l’année prochaine (en terme de nouveautés) par « Les Caprices de Marianne », tout en nous gratifiant actuellement d’une rareté : « Moïse et Pharaon ». Cet ouvrage est hélas trop peu joué sur les scènes lyriques, et le fait qu’il soit représenté dans une version concertante n’est pas gênant compte tenu du niveau d’excellence du plateau. Il convient d’ajouter que nous avons la chance d’entendre une distribution vocale presque exclusivement française, à l’exception de deux interprètes (en considérant M. LAPOINTE comme français puisque canadien francophone), et sur ce point nous pouvons également féliciter et remercier M. XIBERRAS. Le chef d’orchestre est italien (Paolo ARRIVABENI) et pour diriger ROSSINI n’est-ce pas idéal ? Il a une parfaite connaissance de cette partition et sait tirer le meilleur de sa phalange, du chœur et des solistes, dont il s’occupe avec beaucoup d’attention. Le résultat est là : nous frôlons la perfection !

Côté solistes vocaux je vais émettre un seul avis négatif, qui n’engage que moi. J’ai beaucoup souffert en entendant Mme SHOKZA maltraiter le bel canto de cette façon. En lisant sa biographie j’ai vu qu’elle chantait régulièrement des ouvrages de ROSSINI ou DONIZETTI mais aussi des opéras tels que « AIDA » « LE TROUVERE » « LA DAME DE PIQUE ». La fréquentation de ce genre de répertoire n’a-t-elle pas trop ouvert sa voix, lui faisant ainsi perdre la légèreté et l’agilité nécessaire au chant belcantiste ? (Mardi soir Mme Sonia GANASSI nous a donné un parfait exemple de maîtrise du chant Rossinien). Le timbre est beau, la technique correcte, mais pourquoi ne pas mieux maîtriser ses « forte » qui sont projetés avec une violence tout à fait inadéquate dans ce type d’ouvrage, allant jusqu’à rompre l’harmonie vocale existant entre tous les autres interprètes : dommage !

A l’opposé nous avons eu le grand bonheur d’entendre une véritable funambule vocale, défiant toutes les lois de l’agilité, en la personne de Mme MASSIS. Sa partition est pourtant oh combien périlleuse, mais elle semble s’en amuser et pirouette de trilles en vocalises avec une aisance déconcertante : que du bonheur !

Rien à redire non plus avec Mme ROCHE parfaitement en place et d’une grande expressivité, dans un rôle pourtant très court.

Du côté des hommes, nos oreilles ont été à la fête avec quelques petites nuances. Tout d’abord bravo aux « petits jeunes » (ce terme n’a rien de péjoratif, au contraire) c’est-à-dire Messieurs DRAN et MATHIEU. Voilà de très jeunes chanteurs que l’on aimerait côtoyer plus souvent sur l’ensemble de nos scènes françaises. Ils ont interprété ce que l’on peut appeler des « petits rôles », mais l’ont fait avec un très grand professionnalisme qui donne envie de les entendre à nouveau : espérons !

Nous avons la chance d’entendre assez régulièrement le beau timbre de basse de M. COURJAL et dans cette œuvre, même s’il ne fait que quelques apparitions, il est exactement à sa place. Sa belle voix d’airain résonne dans toute la salle de l’Opéra de MARSEILLE, mais il sait également nuancer et chanter « piano » lorsque la partition l’exige : du beau travail !

Un autre habitué de notre scène est M. LAPOINTE, mais le retrouver dans ce répertoire est une petite surprise. Certes, la souplesse de sa voix lui permet d’aborder cet ouvrage avec sérénité, mais l’oblige également à travailler dans un registre bas qui n’est pas vraiment son point fort (il est baryton et non baryton-basse). Son médium et ses aigus font merveille, mais les notes basses paraissent un peu artificielles et souvent étouffées.

Dans tous les ouvrages le chanteur le plus attendu est le ténor. C’est encore le cas ici et nous avons vraiment été très gâtés en écoutant M. TALBOT. Lorsqu’on écoute cet ouvrage pour la première fois, on se dit que les ténors le chantant doivent être très rares. Il s’agit d’une véritable pyrotechnie vocale, comme seul ROSSINI pouvait en écrire pour ce type de voix. Qu’il s’agisse des duos, des ensembles ou des arias, il n’y a pas un seul moment de facilité dans cette écriture. Tout est difficile, périlleux, long, mais incroyablement beau lorsque c’est chanté de cette manière. Je tiens à rappeler que M. TALBOT est français et qu’il a tout à fait sa place sur de grandes scènes internationales et pourquoi pas à PESARO, patrie de M. ROSSINI.

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Le rôle titre est interprété par M. ABDRAZAKOV, et c’est un grand plaisir d’entendre une aussi belle voix sur notre scène marseillaise. Le timbre est rond, chaud, moelleux, envoutant. La technique est quasi parfaite et l’interprétation très correcte. Dès qu’il arrive sur le plateau, il impose une sorte de force tranquille qui ne le quittera jamais. Il domine totalement son sujet et se joue lui aussi des difficultés avec grande facilité (apparente). Peut-être certaines notes très graves sont-elles un peu assourdies, mais franchement c’est chercher la petite bête que dire cela… Non : rien de négatif le concernant et s’il a envie de revenir, j’espère que les portes de l’Opéra de MARSEILLE lui seront à nouveau ouvertes.

Un grand bravo et merci au chœur de l’Opéra de MARSEILLE placé sous la direction de M. IODICE, qui encore une fois a su s’élever au plus haut niveau.

Puisqu’il s’agissait d’une version concertante il n’y avait donc ni costumes ni décors, mais je voudrais remercier la Direction pour le choix des très belles couleurs de fond de scène : bravo !

Encore une fois nous avons assisté à un grand évènement et cela se passait à MARSEILLE. Ceux qui pensent que seule PARIS est capable d’offrir à son public un beau et grand spectacle se trompent et nous venons de le prouver !

 

Distribution :

Sinaide          : Enkelejda SHKOZA

Anaï : Annick MASSIS

Marie : Lucie ROCHE

Moïse : Ildar ABDRAZAKOV

Pharaon : Jean-François LAPOINTE

Aménophis : Philippe TALBOT

Osiride : Nicolas COURJAL

Eliézer : Julien DRAN

Aufide : Rémy MATHIEU

 

Chœur et orchestre de l’Opéra de MARSEILLE

Direction musicale : Paolo ARRIVABENI

 

Photo : Christian DRESSE