Andrea Chénier avec Kaufmann et Harteros: scènes de la révolution française à l'Opéra de Munich

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Andrea Chénier avec Kaufmann et Harteros: scènes de la révolution française à l'Opéra de Munich
Andrea Chénier avec Kaufmann et Harteros: scènes de la révolution française à l’Opéra de Munich

Triple première au Bayerische Staatsoper, celle de la nouvelle mise en scène du Munichois Philipp Stölzl, celle de la prise de rôle d’Anja Harteros en Maddalena di Coigny, et, enfin,celle aussi de la première de cet opéra sur la scène du Théâtre National de Munich, le seul Theater-am-Gärtnerplatz ayant créé l’opéra d’Umberto Giordano dans la capitale bavaroise en 1975.

Le metteur en scène Philipp Stölzl s’est fait d’abord connaître comme cinéaste de clips musicaux, avec une carrière exceptionnelle dans la vidéomusique (du groupe Rammstein à l’American Pie de Madonna, en passant par nombre de grandes stars allemandes) et dans le clip publicitaire télévisuel. Il réalise son premier long-métrage cinématographique en 2000 et s’investit dans la mise en scène d’opéra depuis 2005, avec récemment un très remarqué Cavalliera rusticana / Pagliacci au festival de Pâques de Salzbourg (Osterfestspiele Salzburg), un spectacle couronné du prix de la meilleure mise en scène de l’année par le panel de critiques interrogés par le magazine Opernwelt.

Pour Andrea Chénier, Philipp Stölz a réalisé la mise en scène et des décors, en collaboration pour ces derniers avec Heike Völlmer. Philipp Stölz fait assez logiquement le choix d’une mise en scène vériste en collant au plus près à la réalité historique tant pour les costumes et les décors que pour le jeu des acteurs qui souligne la psychologie et la culture particulière des personnages et des classes sociales.  Sa représentation des goûts et des usages de l’aristocratie finissante au château de Coigny et des événements révolutionnaires nous transpose dans les rues de Paris, du Marais à la Bastille,  des caves aux combles des hôtels particuliers, à la Conciergerie, dans les égouts ou les catacombes parisiennes ou, au final, dans une reproduction quasi à l’identique de la Salle de la Liberté pour la séance du Tribunal criminel extraordinaire communément appelé Tribunal révolutionnaire. On retrouve la pierre de France des beaux hôtels particuliers, un moment on se croit à Paris…, mais c’est le Paris de la Terreur, des cachots ou des exécutions capitales en  place de Grève. 

Dans la lignée de sa mise en scène de Salzburg, Philipp Stölzl a choisi de travailler avec des coupes transversales des immeubles représentés. Ainsi de l’hôtel de Coigny où l’étage de réception aéré et bien éclairé surplombe les pièces confinées et basses des caves,  à peine éclairées par de mauvaises bougies, où grouille la valetaille et le personnel des cuisines. La coupe laisse voir une multitude de pièces où sont représentés conjointement toute une série de petits tableaux extrêmement détaillés qui permettent d’examiner comme à la loupe les personnages comme on le ferait d’une colonie d’insectes, ce qui correspond bien au modèle naturaliste du vérisme. Stölzl fait un travail de perfectionniste, collectionnant les détails au point qu’il est impossible de tous les percevoir*. Il porte l’art de la composition et du tableau à son plus haut degré. Des mécanismes ingénieux permettent les changements de décor par déplacement latéral ou coulissage des décors. La coupe tranversale se démultiplie dans la profondeur, donnant l’idée de couloirs, d’escaliers ou de pièces arrières, ce qui permet de plus des déplacements de décors du fond de scène vers. L’ingéniérie scénique tutoie la perfection. Les castes sont étagées dans l’antithèse de leur confort ou de leur dénuement, de l’éclairage et du clair obscur (fantastiques lumières de Michael Bauer). et dans l’évolution du récit, en chiasme, puisque la révolution inverse les rôles et, partant, les lcalisation. Il n’ y a plus de  découpe d’immeubles pour les derniers tableaux, les scènes du tribunal et des exécutions publiques occupant chacune toute la scène. La restitution exacte des costumes d’époque d’Anke Winckler ajoute au réalisme historique, un vrai défilé de mode révolutionnaire, avec l’extravagance des coiffures des dames aristocrates, et celle de l’accoutrement des incroyables ou des merveilleuses, l’horreur de la Terreur étant exemplifiée par un personnage de révolutionnaire grimé, menaçant et grotesque, coiffé d’un chapeau à cocarde et drapé dans un drapeau bleu blanc rouge ensanglanté qui traverse tout l’opéra comme un fil rouge, ou par le mannequin hallucinant de la mamma morta qui apparaît au moment de ce grand air, pantin désarticulé gisant dans une pièce que dévoile le coulissage des décors. Est-ce la scène finale qui a provoqué quelques huées lors de  la première au moment  des salutations du metteur en scène et de son équipe? La guillotine y est présentée de face et les têtes des condamnés y sont introduits par une planche placée devant la guillotine, ce qui permet de faire tomber les têtes dans un panier que les spectateurs ne voient pas. Maddalena est exécutée la première, sans, si je ne me trompe, que ses cheveux n’aient été taillés ni son cou dégagé, petit manquement à l’horrible cérémoniel. Au final, dès après l’exécution de Chénier, le bourreau présente sa tête tranchée, reproduisant fort bien les traits de Jonas Kaufmann, à la populace et au public peut-être choqué par ce qui est pourtant un pur procédé de l’art naturaliste. Hormis cette interprétation, on voit mal ce qui a pu valoir la désapprobation d’une partie du public, aussi limitée que bruyante, tant la restitution historique est réussie. 

2_Andrea_Chenier_3Anja Harteros fait ici une prise de rôle d’une grande finesse technique, avec une Maddalena dont elle interprète les mutations avec un talent consommé: de la ravissante jeune fille aristocrate qui fuit les parades de sa caste à la femme passionnée prête à se livrer, pour sauver l’homme qu’elle aime, aux appétits sexuels inassouvis d’un Gérard devenu puissant, et disposée ensuite à sacrifier sa vie pour accompagner son amant vers un au-delà incertain. Dès les premières notes elle captive un public aussitôt subjugué par autant de charme, de tendresse, de douceur ineffable et des qualités qu’elle réussit à convoyer tant dans l’intimité du piano que dans les plus hautes notes, avec un éventail très nuancé de la palette émotionnelle. Elle interprète sa  «Mamma morta» avec une justesse émotionnelle vibrante, et fait un triomphe. Le retour attendu de Jonas Kaufmann auprès de sa partenaire de scène favorite a comblé les attentes, craintives pour certains vu la longue maladie du chanteur et des annulations récentes. Mais on retrouve un Kaufmann sûr de lui, en pleine possession de ses moyenset visiblement passionné par ce rôle qu’il a déjà interprét
é avec succès à Londres. La qualité dramatique de l’interprétation de Jonas Kaufmann est telle que lors de la scène du tribunal le «Si fui soldato» prend tellement aux tripes qu’on ne se permet pas d’applaudir le chanteur, car il a tout entier laissé la place au poète qui se révèle ici dans sa vertu virile.  Luca Salsi domine la production par l’incroyable volume sonore de sa voix puissante de baryton et se joue de celui de l’orchestre porté par l’enthousiasme d’Omer Meir Wellber. Le chef parvient cependant par moments, et c’est heureux, à contenir sa fougue pour laisser libre champ libre au travail délicat et filigrané d’Anja Harteros. Les rôles secondaires sont tous bien défendus, avec entre autres une belle composition à la limite du caricatural de la Comtesse de Coigny superbement jouée par Doris Soffel, l’émouvante Madelon d’Elena Zilio et le Roucher très affirmé d’Andrea Borghini.

Tricolore! Un programme bleu-blanc-rouge accompagne la production (8€). 
Commande en ligne possible.

Live-streaming

*On attend avec délectation le live-streaming de la Staatsoper TV ce samedi 18 mars à 19H, d’autant que les plans rapprochés permettront d’apprécier davantage, s’il est possible, le travail  des chanteurs et d’observer la profusion des détails de la mise en scène.

Prochaines représentations

les 18, 20, 22 et 30 mars

le 2 avril 

et lors du festival d’été les 28 et 31 juillet 2017

Plus d’informations sur staatsoper.de

Luc Roger

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