Anja Harteros triomphe dans la production munichoise d´Arabella

Anja Harteros triomphe dans la production munichoise d´Arabella
Photo: Wilfried Hösl

Avec Arabella de Richard Strauss, le réalisateur de films allemand Andreas Dresen réalise sa troisième mise en scène d´opéra. Il n´aborde pas l´oeuvre en faisant usage des ficelles de l´opérette, ce qui est souvent le cas, mais en apportant son expertise du langage cinématographique et théâtral. Il colle au texte de Hugo von Hofmannstahl en étant constamment attentif à la psychologie des personnages et la développe aussi au gré de leurs interactions. Ainsi de la figure du père, joliment interprétée par Kurt Rydl:  on pourrait aisément en dessiner un portrait de noctambule  et de joueur invétéré, mais  Andreas Dresen en donne une image plus complexe, celle d´un joueur certes mais aussi d´un homme au caractère noble et fier, ou d´un père attentif au bien-être de ses filles. 

La diversité des lieux est traitée par le truchement du plateau tournant porteur d´un escalier complexe qui, par le jeu des lumières et des occupations, révèle sa diversité et définit les espaces. Andreas Dresen a développé une symbolique de l´escalier, lieu de passage, de déséquilibre, d´ascension ou de descente, de profit ou de perte. Au premier acte la famille désargentée est sous le pilier de soutènement d´un escalier aux allures surréalistes, une famille sans certitudes et sous pression dont chacun des membres aspire au changement, qu´il s´agisse de l´espoir d´une aisance retrouvée, de la réalisation d´un amour qui parait impossible, du désir d´échapper à un mariage forcé. La métaphore escalier/chambre d´hotel, lieux de passage par excellence, lieux provisoires, fonctionne bien au premier acte où l´escalier semble une fleur cubiste qui déploie les séductions de ses complexités géométriques. La scène du bal des cochers se déroule tout entière sur un grand escalier à double volée croisée en son centre et qui peut évoquer le grand escalier des revues américaines des années 30. Pour le final, Arabella se retire tout en haut de l´escalier et le redescend porteuse d´un verre d´eau qu´elle jette à la figure de Mandryka, symbole de fiançailles. Les escaliers ne sont jamais un lieu de vie, mais un lieu transitoire. Les décors de Mathias Fischer-Dieskau et les lumières de Michael Bauer accompagnent parfaitement l´évolution d´une action qu´Andreas Dresen donne à voir au travers d´excellents placements des personnages et de grands tableaux fort bien agencés, comme celui du bal des cochers, un chef d´oeuvre du genre, en rouge et noir, au fil duquel une atmosphère de lupanar s´installe progressivement pour se terminer en une orgie lascive très Troisième Reich, avec des corps qui se dénudent, s´embrassent, s´embrasent et inlassablement s´enlacent, tous sexes confondus d´ailleurs.  Les costumes de Sabine Greuning se déclinent en couleurs élémentaires, des rouges, des bleus, des noirs, du blanc, des costumes qui soulignent le caractère des personnages, plutôt vulgaires pour le père et la mère d´Arabella, tout Graf et Gräfin Waldner qu´ils soient. Les tenues d´Arabella soulignent la beauté altière et la noblesse d´une jeune femme dont on se demande si elle est bien la fille de ses parents, tant leurs manières diffèrent, des tenues d´une élégance audacieuse parfois, comme cette robe de soirée bleue qu´elle accompagne de gants rouges. Pour  Zendko-Zendka, Sabine Greuning opte pour des vêtements simples qui correspondent à l´apparent effacement de la jeune femme. Mandryka est très viril dans ses bottes et ses vêtements de gentilhomme campagnard, à l´inverse des trois comtes qui courtisent Arabella, habillés en riches gandins. Lors du bal, les femmes en rouge et les hommes en noir portent des loups, la Fiakermilli en veste de cuir noir ajustée, casquette de cuir, short de cuir et cravache, semble prête pour une scène sado-masochiste. Quelques militaires en uniformes national-socialistes complètent le tableau.

Anja Harteros triomphe dans la production munichoise d´Arabella
Photo: Wilfried Hösl

Un spectacle très visuel servi par un plateau exceptionnel avec au centre le toute l´attention, la magnifique, la fabuleuse, l´extraordinaire Arabella d´Anja Harteros qui nous fait frissonner de bonheur lyrique et théâtral d´un bout à l´autre du spectacle. La voix s´élève, claire, limpide, cristalline comme un ruisseau joyeux qui jaillit des montagnes avec un vibrato à faire pleurer les anges. La personnalité de la chanteuse, avec son être moral, sa noblesse et sa retenue conviennent parfaitement à ce personnage qu´elle interprète avec le plus grand naturel. Il y a chez Harteros une palette d´émotions élevées qui sont en parfaite adéquation avec les qualités qu´Hofmannstahl attribue à Arabella. Son Arabella est une démonstration d´excellence. 

Comme ne le dit pas le dicton, un bonheur ne vient jamais seul. Le second grand bonheur de la soirée, c´est la Zendka d´Hanna-Elisabeth Müller, dont le talent lyrique, au fil des spectacles du Bayerische Staatsoper, n´en finit pas d´enchanter. Le duo de sopranos du premier acte est une page d´anthologie. Hanna-Elisabeth Müller charme tant en garçon qu´en fille, avec une transformation des plus réussies et le don d´exprimer l´ingénuité et la fougue juvénile du personnage. Le Mandryka de Thomas J. Mayer est d´une belle étoffe vocale, avec un baryton généreux, et qui compense par des subtilités et une finesse d´interprétation ce qui lui manque parfois de puissance. La voix prend cependant de l´ampleur au long des scènes pour aboutir à une scène finale au duo éblouissant. Au pupitre, une des meilleurs baguettes mondiales pour cet opéra, le chef suisse Philippe Jordan, directeur musical de l´Opéra de Paris, qui  vient à Munich de diriger un somptueux Tristan und Isolde, apporte son expertise de cet opéra de Straussqu´il pratique depuis trois ans. Sa direction précise souligne avec amour et humour la critique sociale amusée  de l´écriture straussienne et rencontre fort bien  l´esprit de la mise en scène. 

Une production couronnée d´un immense succès pour cet opéra fleuron du Festival munichois d´opéra.

Luc Roger