Anna Bolena à l’Opéra de Marseille

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Anna Bolena à l’Opéra de Marseille
Anna Bolena à l’Opéra de Marseille. Photo: Christian Dresse

Qui a dit qu’une version concertante d’un ouvrage lyrique présentait moins d’intérêt qu’une version scénique ? Il faut assister à ce que nous propose actuellement l’Opéra de Marseille pour pouvoir dire : ce n’est pas vrai !

Pourtant Anna Bolena est une œuvre difficile en raison tout d’abord de sa longueur, mais également à cause du choix de la distribution vocale qui s’avère primordial (comme souvent). Il faut quatre grandes voix, qui vont s’affronter tout au long de l’ouvrage et ceci jusqu’à la dernière note. Il faut avoir les ressources nécessaires pour arriver jusqu’à l’ultime scène de la folie, qui est l’apothéose d’une partition particulièrement éprouvante, et c’est à Marseille que nous avons la chance d’assister à cet évènement. Combien de théâtres sont capables d’afficher en 5 ans la Trilogie des Tudor de Donizetti avec des distributions de haut niveau ?

Dans le rôle d’Anna Bolena nous retrouvons, pour une prise de rôle, la superbe Zuzana Markova qui nous avait subjugué en Traviata mais aussi en Lucia. Bien qu’annoncée souffrant d’une pharyngite elle a parfaitement tenu son rôle jusqu’à la fin, modifiant quelques cadences et évitant certains suraigus pour ne pas risquer d’accident.   Physiquement elle est toujours aussi belle, et bien qu’elle interprète son rôle d’une façon très intériorisée elle arrive néanmoins à faire partager ses émotions avec le public. Elle développe un chant à la fois puissant et raffiné, qui met parfaitement en valeur sa technique vocale quasi irréprochable. Le timbre est chaud, velouté, superbe, avec un sens inné du légato, un souffle qui semble infini, et des vocalises qui s’envolent et nous emportent pour notre plus grand plaisir.

On ne présente plus sa « rivale » la grande mezzo Sonia Ganassi dans le rôle de Giovanna Seymour. Nous la retrouvons avec beaucoup de plaisir après un Moïse et Pharaon où elle avait particulièrement brillé sur cette même scène, avec d’endosser le rôle de la princesse Eboli dans Don Carlo de Verdi en juin de l’année prochaine. Son chant est beaucoup plus extériorisé et elle entre immédiatement dans la peau de son personnage. Elle ne chante pas Seymour, elle est Seymour ! Ses aries confirment la grande technicienne belcantiste qu’elle est, se jouant des cadences avec une facilité déconcertante, sans oublier ses duos avec la soprano qui se révèlent divins. Elle exprime au plus profond de son être la femme sensible mais aussi torturée qu’elle incarne : un grand moment de plaisir.

Côté masculin, le plateau présente celui qui est, à mon humble avis, LE Enrico VIII idéal : la basse Mirco Palazzi. S’il n’a pas physiquement la dimension d’un roi, il se dégage de son chant une telle intensité, une sorte de force tranquille qui ne peut que retenir notre attention et forcer l’admiration. Il nous régale de ses graves profonds afin de nous entraîner dans les méandres de ce personnage odieux qu’il arrive à rendre fascinant.

Dans le rôle de Riccardo Percy, le ténor Giuseppe Gipali n’est plus à présenter sur cette scène. La voix s’est épanouie, le médium s’est développé, mais la puissance est toujours là et il nous gratifie d’ailleurs de superbes aigus particulièrement lumineux. On continue surtout d’admirer chez ce ténor sa musicalité exceptionnelle : une note chantée sur une note jouée, toujours avec justesse. Son timbre suave est mis au service d’un chant particulièrement raffiné qui ne peut que nous enchanter.

Il est impossible de ne pas saluer les prestations d’Antoine Garcin et Carl Ghazarossian qui, malgré des partitions moins étoffées, assurent et caractérisent parfaitement leurs rôles. Un bravo tout particulier à Marion Lebègue, remarquable voix de mezzo-soprano, se rapprochant souvent du contralto d’ailleurs. Ce type de voix est suffisamment rare pour s’y intéresser, surtout chez une femme aussi jeune : à suivre.

Comme dans la quasi-totalité des ouvrages lyriques, le chœur tient une place importante et c’est encore le cas dans cette œuvre. Encore une fois il faut féliciter cette phalange pour son excellent travail sous la direction d’Emmanuel Trenque.

On doit également féliciter l’orchestre de l’Opéra de Marseille dirigé par Roberto Rizzi Brignoli qui a su rendre avec énergie et élégance toutes les couleurs de cette superbe partition faite à la fois de finesse et de violence.

Corinne Le Gac

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