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Un concert lyrique n’est jamais un exercice facile. Les artistes ne disposent ni de décors ni de costumes de circonstance pour créer une atmosphère. Ils se présentent « nus » devant le public et ne doivent faire appel qu’à leur seul talent pour nous faire entrer dans ce monde magique de l’art lyrique. Néanmoins il suffit parfois d’un ou deux accessoires pour installer cette ambiance. C’est ainsi que pour interpréter les extraits de La Traviata de Verdi en première partie, Léo Nucci y a ajouté une canne qui apporte toute sa noblesse au personnage de Germont Père. Sur scène sont également disposés deux jolis fauteuils qui permettront aux chanteurs de « mettre en espace » leur conversation. Nous avons ainsi l’impression d’entrer dans la maison de Violetta et de partager leurs échanges verbaux. Une belle idée qui nous permet d’être plongés immédiatement au cœur du futur drame.
Rien de tel en seconde partie pour les extraits de Rigoletto de Verdi qui, grâce à l’intensité des deux interprètes, peuvent aisément se passer de mise en scène. Ici le drame apparait immédiatement dès le premier air du baryton « …Pari siamo… ». L’atmosphère pesante s’installe et la vengeance atteindra son apogée dans le duo final « …Si vendetta… », duo qui sera d’ailleurs bissé par les deux interprètes (qui avaient même trissé cet air le vendredi soir, dans une soirée de folie).
Le choix des tenues n’a pas été laissé au hasard non plus avec un costume queue-de-pie pour le baryton en première partie et une veste longue pour la suite. La soprano portait une jolie robe noire pour incarner Violetta et une ravissante robe rose fuchsia pour incarner la jeune et innocente Gilda.
Précédant les airs de La Traviata, le concert débute par l’ouverture de Nabucco très sobrement interprété par l’orchestre sous la direction de Luciano Acocella. La seconde partie commencera elle par l’ouverture de Luisa Miller, un ouvrage assez peu joué mais pourtant fort intéressant.
Vocalement nous avons vécu un moment que l’on peut qualifier, sans aucune exagération, de mémorable grâce à ces deux grands artistes.
Qu’il s’agisse de Patrizia Ciofi, toute en finesse, se jouant des vocalises avec une aisance déconcertante et nous gratifiant de pianissimi que l’on écoute en apnée. Elle chante avec tout son corps et arrive immédiatement à incarner le personnage qu’elle interprète. Elle est tour à tour Violetta puis Gilda avec la même intensité, la même fragilité, le même bonheur.
Que dire de Léo Nucci (75 ans dans quelques mois), qui semble défier toutes les lois du chant ? Tout juste peut-on remarquer quelques notes prises un peu par-dessous (en étant très méchant) mais dans sa globalité cet artiste est un phénomène ! Le timbre est intact, le vibrato bien contrôlé, le souffle infini, une énergie à revendre, un sens inné du légato, et une puissance toujours au rendez-vous : comment fait-il ??? Même s’il a la chance d’avoir une voix solide il n’y a pas de secret : le travail et encore le travail ! En l’entendant en aussi grande forme je pensais que Verdi lui-même aurait été content de le connaître.
Après deux heures de pur bonheur le public avait du mal à quitter cette belle salle de l’Opéra d’Avignon, mais gardera pour toujours l’impression d’avoir vécu un moment unique.
Corinne Le Gac
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