Elisabeth Kulman a offert hier soir au public du Théâtre national de Munich son extraordinaire interprétation des Wesendonck-Lieder de Richard Wagner dans le cadre du troisième Concert d’Académie de l’Orchestre d’Etat de Bavière que dirigeait Vassily Petrenko. En seconde partie, le chef russe dirigeait la deuxième symphonie d’Edgard Elgar.
Elisabeth Kulman, tout de bleue vêtue, arborait sa couleur favorite, portant un bustier scintillant de strass sur une jupe longue moirée au bleu plus sombre. Le port altier, souriante, c’est d’emblée une impression de franchise qui se dégage de l’entrée en scène de la cantatrice autrichienne. Elisabeth Kulman, dont la présence charismatique irradie autant que la voix, va déployer la palette des ors sombres et lumineux des cinq Wesendonck-Lieder en détaillant les richesses et les couleurs de son timbre magnifique avec une technique impeccable. La chanteuse utilise toutes les possibilités d’une voix dont l’étendue impressionnante couvre le mezzo et le contralto, avec de belles incursions dans l’aigu. Elle ne cherche jamais l’effet, mais véhicule avec authenticité l’émotion juste et vraie. C’est la souffrance amoureuse dans l’appel aux apaisements de l’Ange consolateur que la chanteuse convoie avec une émotion grandissante, c’est sa dramatisation intense suivie d’un certain apaisement dans le deuxième Lied (» Stehe still «), c’est la plainte mélancolique plus lente dans les chaleurs de la serre («Im Treibhaus»), ce sont les douleurs finalement transcendées du quatrième Lied qu’Elisabeth Kulman chante avec un intensité vibrante, c’est enfin dans «Träume» la douceur plaintive des rêves de ce qui ne peut être, puis de l’espoir, encore, de ce qui ne peut advenir et s’apaise dans la mort. Dans cette version orchestrale des Wesendonck-Lieder, le chef et l’orchestre, attentifs, accompagnent et répondent au chant formant comme un cocon musical qui porte et souligne la délicatesse et la finesse des émotions qu’exprime la chanteuse.
On pourra retrouver Elisabeth Kulman le mois prochain en Fricka dans une version concertante de la Walkyrie. Sir Simon Rattle dirigera les 8 et 10 février l’Orchestre de la radio bavaroise à la Herkulessaal de Munich, avec un plateau impressionnant (Skelton. Halfvarson, Volle, Westbroek, Theorin et Kulman).
Edward Elgar n’ a achevé que deux symphonies et c’est la seconde que nous offre le chef Vassily Petrenko, apportant à Munich le fruit d’un travail réalisé en Angleterre (1).
Elgar composa sa symphonie entre 1909 et 1909, et la dédia à la mémoire de sa défunte Majesté le Roi Edouard VII, qui venait de décéder. Le second mouvement, un larghetto élégiaque, illustre cette dédicace. Comme dans les Wesendonck-Lieder, la diversité émotionnelle est au rendez-vous dans cette partition préfacée par une citation du poème Invocation de Shelley: «Rarely, rarely comest thou, Spirit of delight! » / » Rarement, rarement, viens-tu, Esprit du Délice «. Elgar a commenté son oeuvre : «Elle représente le pèlerinage passionné d’une âme. Le dernier mouvement représente le dénouement de sa passion dans l’action généreuse et les deux dernières pages sont l’apothéose et l’issue éternelle du pèlerinage de l’âme.» Un pèlerinage qui connaît des moments d’abattement et de désespoir et de renfermement sur soi auxquels succèdent des moments lumineux d’exaltation, inspirés par le séjour vénitien d’Elgar de 1910. Elgar voulut à l’origine rendre dans les deuxièmes et troisièmes mouvements le contraste entre l’intérieur sombre de la Basilique Saint-Marc et l’ensoleillement de la place éponyme, avant de retravailler le deuxième mouvement en élégie royale.
La direction précise et raffinée du chef Petrenko et l’Orchestre d’Etat de Bavière ont rendu avec une grande sensibilité les houles changeantes des émotions de l’oeuvre d’Elgar, dans un exercice peut-être un peu difficile, tant on restait sous la puissante impression de la remarquable interprétation d’Elisabeth Kulman. Mais le public des mélomanes munichois a su rendre un vibrant hommage au travail tout en finesse de Vassily Petrenko et de l’orchestre qui a déployé l’immense talent qu’on lui connaît.
(1) Vassily Petrenko a enregistré cette symphonie sur cd chez Onyx en 2017 avec le Royal Liverpool Philarmonic Orchestra.
Luc Roger