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Ouverture héroïque pour le Festival Richard Strauss 2017 hier soir à Garmisch, La directrice artistique du festival, la Kammersängerin Brigitte Fassbaender, a placé le festival sous le thème du Héros et du Monde, le héros étant Richard Strauss et la Musique sa musique, son monde, pour une semaine festivalière qui s’annonce passionnante et a débuté sous les meilleurs auspices.
C’est le prodigieux pianiste virtuose français Bertrand Chamayou qui a ouvert la soirée en interprétant le Burlesque en ré, une pièce concertante pour piano et orchestre que Richard Strauss composa en 1886. Oeuvre de jeunesse de Strauss où l’inspiration brahmsienne est sans doute perceptible, mais surtout oeuvre acrobatique pour le pianiste qui doit dévider des chapelets de claviers avec une rapidité fulgurante, et dont Chamayou parcourt les vingt minutes avec une élégance athlétique et cela sans partition. L’oeuvre avait originellement été proposée sous le nom de scherzo en ré mineur au pianiste et chef d’orchestre Hans von Bülow, chez qui Richard Strauss apprenait la direction d’orchestre. Mais von Bülow, un des meilleurs interprètes de la seconde moitié du 19e siècle, s’était refusé à jouer l’œuvre, prétextant d’une trop grande difficulté technique (« Il y a une position de main différente pour chaque mesure »). Qui plus est, von Bülow aurait montré de l’humeur à propos de cette pièce: «…glauben Sie ich setze mich vier Wochen hin um eine so wiederhaariges Stück zu studieren?» (librement traduit: «vous ne pensez tout de même pas que je vais m’installer au piano pendant 4 semaines pour démêler une pièce aussi touffue?»). On ne dit pas combien de temps Bertrand Chamayou a mis pour maîtriser l’oeuvre, mais le résultat est époustouflant et d’une beauté héroïque! Couronné l’an dernier du titre de meilleur soliste instrumental à la Victoire de la musique classique, Chamayou vient d’ajouter un nouveau diamant à la couronne de son répertoire et nous en a offert hier soir les scintillements en parfaite intelligence avec le Münchner Rundfunkorchester et son chef Ulf Schirmer.
Après une telle prestation, célébrée par un tonnerre d’applaudissements, c’est une autre grande interprète, l’incomparable soprano colorature Marlis Petersen, qui est venue apaiser les feux allumés du Burlesque avec une interprétation sensible et souveraine des Vier Letzte Lieder (Quatre derniers Lieder). C’est que le monde héroïque de Strauss est aussi fait d’inspiration amoureuse, familière, intimiste et extatique. C’est ici l’extase d’une nature apaisante et d’une vie apaisée que chante Petersen avec une ligne mélodique ravissante, et une justesse de ton alliée avec une réserve et une douceur qui donne à voir l’orient perlé de son colorature. L’interprétation de Petersen est intériorisée et sa délicatesse permet de goûter pleinement les nuances des poèmes d’Hermann Hesse et de Joseph von Eichendorff, qui correspondent si bien à la spiritualité straussienne et à son amour de la nature, que le compositeur de Partenkirchen a si bien rendus dans ces derniers grands chants orchestraux de la longue tradition musicale des Lieder allemands. Le dernier vers« Ist dies etwa der Tod ? » (« Serait-ce déjà la mort ? ») donne une vision sereine de la mort, fin naturelle d’un parcours d’une vie héroïque accomplie, ce que nous communique parfaitement Marlis Petersen. L’éblouissante et ravissante Lulu que l’on a pu encore entendre il y a deux ans au Bayerische Staatsoper, nous expose ici avec brio les secrets plus intimistes d’une vie réussie.
En seconde partie, Ulf Schrimer et le Münchner Rundfunkorchesterdonnent une interprétation enlevée et poignante du poème symphonique Une vie de héros (Ein Heldenleben, op. 40) que composa Richard Straussen 1897-1898, trois ans après Ainsi parlait Zarathoustra. Poignante non seulement par la qualité de l’exécution mais aussi parce que le fructueux parcours conjoint du Directeur général de l’Opéra de Leipzig et du Münchner Rundfunkorchester se termine en cette fin de saison. Le héros dont il est question, c’est le compositeur lui-même, qui se décrit dans cette oeuvre aux beautés bouleversantes avec des accents d’une fierté souvent conquérante, mais aussi avec la distance de l’ironie et les délicatesses de la tendresse, notamment celles d’une vie amoureuse et familiale réussie, L’oeuvre introduit dans son troisième mouvement la «compagne du héros», le solo de violon, magistralement interprété hier soir par la première violon de l’orchestre. La parfaite collaboration entre l’Orchestre de la Radio de Munich et Ulf Schirmer a reçu pour ce dernier spectacle le couronnement glorieux des lauriers de la réussite et de l’ excellence.
A noter que ce concert exceptionnel pourra être réécouté en différé à la radio ce 2 juillet à 19H05 sur BR Klassik.
Luc Roger
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