Crítica de Otello de Verdi. Marsella

Inva MulaEn préambule à sa prochaine saison lyrique 2013-2014, dont le thème sera « la Méditerranée dans tous ses états », l’opéra de Marseille nous offre un des nombreux chefs-d’œuvre de Verdi : Otello.

L’avant dernier ouvrage du compositeur revient sur la scène phocéenne après 25 ans d’absence, en collaboration avec les Chorégies d’Orange où le spectacle sera présenté en 2014. La mise en scène est signée Nadine Duffaut et ne mérite ni bravos ni reproches sauf un : faire apparaitre Otello sur une passerelle dès le début de l’ouvrage le prive de son entrée héroïque (« esultate ») qui est un moment attendu de tous. Les décors sont laids et envahissent le plateau, réduisant ainsi les mouvements de foule qui pourraient fournir un peu d’animation à ce sombre drame. Le choix des costumes (uniformément gris perle) est très discutable, les personnages se confondant parfois avec les piliers eux aussi gris : dommage ! Seul le magnifique costume rouge d’Otello apporte une touche de couleur dans cet univers bien terme.

Vocalement en revanche nous sommes beaucoup plus gâtés. Honneur au principal rôle féminin (Desdémone) dont la soprano franco/albanaise Inva Mula nous dresse un portrait très personnel et parfaitement juste. Elle a totalement compris le personnage et sais le restituer avec beaucoup de douceur, de grâce, de sensibilité, mais aussi avec une personnalité très affirmée. Sa scène final nous laisse savourer un air du Saule particulièrement intéressant, jamais ennuyeux, ce qui n’est pas toujours le cas. Le timbre est riche et prenant, la ligne de chant toujours contrôlée, et ses pianissimi sont aériens ; elle nous révèle une sensualité jamais mièvre, qui ne peut qu’attirer la sympathie et l’amour.

A ses côtés nous retrouvons avec un immense plaisir le ténor russe Vladimir Galouzine, qui est à l’heure actuelle le plus fidèle interprète de ce rôle d’Otello. Si son air d’entrée « esultate » est un peu en retrait, tout comme son premier tableau, ce n’est que pour mieux l’apprécier dans le reste de l’ouvrage. Il y a dans sa voix et dans son interprétation une montée en puissance qui laisse pantois. D’abord séduisant et chaleureux, charmeur parce qu’amoureux, le timbre se fait dur et violent jusqu’au cri au fur et à mesure de l’ouvrage. Son personnage est partagé entre son amour immense pour son épouse et son éternel doute sur la fidélité de celle-ci. L’amour et la jalousie sont les deux ingrédients de ce drame et le ténor sait parfaitement nous restituer ces deux sentiments. Comment ne pas l’aimer dans son tendre duo du premier acte, mais comment ne pas en avoir peur lorsqu’il jette à terre sa douce épouse sous les yeux de l’ambassadeur ? Même lorsqu’il tue sa femme au dernier acte et se poignarde à son tour, il nous est difficile de retenir quelques larmes tant sa détresse est sincère et son amour immense : un très grand moment !

Je ne partage pas les goûts du public qui a réservé un immense succès au baryton coréen Seng-Hyoun Ko. Je ne remets pas en cause la puissance de sa voix ni la justesse de son jeu scénique, mais je n’ai pas aimé la liberté qu’il prend trop souvent avec la partition. Interpréter c’est bien mais il faut aussi savoir respecter la ligne de chant, la cadence, la mesure, la musicalité ; ce n’était pas toujours le cas, créant ainsi plusieurs décalages avec les musiciens surtout dans le premier acte. Il y a aussi ces notes « jetées » violemment et souvent de façon assez vulgaire qui rendent son chant parfois à la limite du supportable. Cette trop grande générosité vocale nuit à une musicalité pourtant nécessaire dans ce rôle ; en revanche il a lui aussi parfaitement compris le personnage et nous dresse le portrait du « parfait pourri ».

Les seconds rôles sont si insignifiants vocalement qu’ils ne méritent pas d’être cités, à l’exception de l’Emilia de Doris Lamprecht qui était la seule audible.

L’orchestre était placé sous la direction de Friédrich Pleyer ; le chef autrichien a su parfaitement alterner les moments tendres et particulièrement musicaux avec ceux plus violents, essayant de ne jamais couvrir les voix.

 

Corinne Legac