Soirée d’exception hier soir à la cathédrale Saint-Jacques d’Innsbruck (Dom zu St. Jakob). L’Academia Montis Regalis, la célèbre formation d’Alessandro De Marchi, y donnait avec cinq excellents solistes et le Choeur Maghini le Davidis pugna et victoria (La bataille et la victoire de David), l’unique oratorio latin sur un thème biblique que composa Alessandro Scarlatti sur base du livret d’un auteur anonyme. L’oratorio avait créé à Rome à l’oratoire del Crocifisso lors du Carême de l’an 1700 sur commande de l’Arciconfraternità del santissimo Crocifisso, une confrérie qui rénissait des nobles romains pour des exercices spirituels. Cette oeuvre, aussi dénommée Il David, est l’un des cinq oratorios créés pour la confrérie par Scarlatti entre 1679 et 1705, mais le seul qui ait été conservé. L’oeuvre, qui fait usage d’un groupe instrumental concertant et d’un autre en concerto grosso avec la basse continue, s’inscrit dans la tradition des oratorios de Carissimi et Stradella.
Il David, dénommé ici David und Goliath sans doute pour des besoins d’annonce, était attendue avec impatience par le public des festivaliers d’Innsbruck, qui connaît l’autorité et l’expertise du Maestro De Marchi qui pratique cet oratorio depuis longtemps, comme en témoigne l’enregistrement qu’il en donna en 2009 avec son Academia Montis Regalis chez Hypérion, d’autant que son Stradella de l’an dernier (San Giovanni Battista) avait remporté un énorme succès et que l’exquise Arianna Sofia Venditelli, qui rayonne au firmament du festival depuis plusieurs années, était annoncée dans le rôle titre avec des partenaires non moins étoiles que Giulia Semenzato et Lawrence Zazzo.
Et ce fut l’enchantement attendu dans les ors et les argents rutilants, les marbres et les grands bronzes de la somptueuse cathédrale baroque d’Innsbruck, sous l’aile proctectrice des anges et la douceur infinie du regard de la Vierge à l’Enfant de Lucas Cranach l’Ancien.
Un oratorio sacro-militaire dont les héros sont chantés par un contre-ténor et des voix femmes qui en assurent l’intensité dramatique croissante, renforcée par les interventions du chœur, un chef d’oeuvre d’inventivité musicale et vocale que nous devons à l’interdiction des opéras dans la Rome des 17ème et 18ème siècles. Scarlatti y témoigne sa puissance créative dans le dynamisme de la caractérisation musicale des personnages qui se préparent au combat, du défaitisme effarouché de Saul au courage déterminé et confiant dans la victoire de David en passant par la confiance juvénile de Jonathan, trois attitudes aux contours très précis dans une gradation sonore évidente. Le roi Saul est magnifiquement interprété par Lawrence Zazzo qui sait en souligner le caractère indécis et apeuré; cet excellent contre-ténor module avec une technique assurée les craintes et les incertitudes d’un roi qui pense perdre la bataille qui s’annonce. Giulia Semenzato dessine un Jonathan tout en finesse et en grâce, avec une féminité qui convient bien à l’adolescence d’un personnage qui fait toute confiance à son intrépide ami. La beauté du timbre de la soprano, son velouté, sa technique irréprochable de précision du colorature, son charme juvénile et sensuel en font un des grands délices de la soirée. Particulièrement remarquable, le petit duet «Tuba fugam / pugnam concrepet», souligne bien les attitudes opposées du père et de son fils. Le David d’Arianna Sofia Venditelli, triomphante et déjà royale, avec des attitudes et des mimiques nobles, mâles et fougueuses, vient couronner la gradation vocale. Il faut avoir l’occasion d’observer de près le jeu scénique de cette incomparable chanteuse! Et, même si, pour un oratorio de temps de jeûne, on est supposés avoir des faces de carême-prenant, on ne peut que s’amuser de l’inversion baroque des sexes, avec un contre-ténor tremblant comme une femmelette et les accents fermes et impérieux du soprano dramatique d’Arianna Venditelli. Un régal. La jeune chanteuse romaine, qui continue sa trajectoire prestigieuse ( – elle a notamment remporté un second prix l’an dernier à la London Handel Competition – ), a donné hier soir un David glorieux.
Le Choeur Maghini , avec ses changements fort bien orchestrés de rôles, ici philistin, là hébreu, est à l’aune de l’orchestre et des chanteurs dans cette soirée de haute voltige baroque qui s’est terminée par les acclamations triomphales du public.
Luc Roger