Le Concours de chant ARD 2015 a connu hier en fin d´après-midi une somptueuse demi-finale avec huit demi-finalistes d´exception. Le jury a retenu quatre finalistes féminines à l´issue de la compétition. Il s´agit de Suzanne Fischer (Grande-Bretagne), de Marion Lebègue (France), de Sooyeon Lee (Corée du Sud) et d´Emalie Savoy (Etats-Unis). Des chanteurs accompagnés par le Münchner Rundfunkorchester (Orchestre munichois de radiodiffusion) dirigé avec rigueur et enthousiasme par Darrell Ang, un chef qui, comme l´orchestre, a eu le souci d´apporter le meilleur soutien aux candidats par une attention de tous les instants.
Les décisions du prestigieux jury présidé par Robert Holl ( et composé de Helen Donath, Konrad Jarnot, Thomas Moser, Gabriele Schnaut, Anja Silja et Stephen Varcoe) sont bien entendu pleinement justifiées. On se dit qu´elles ont pu être difficiles vu l´excellence du niveau général des candidats. On regrettera sans doute, –dura lex, sed lex-, l´élimination des deux demi-finalistes masculins: le contre-ténor coréen Siman Chung, un jeune chanteur au timbre magnifique qui charme par ses beaux trémolos, la finesse et la fluidité de sa ligne vocale, la longue tenue des notes les plus aigues, une stature élancée et une belle prestance, et une expressivité magique dans le «Oh patria- Di tantio palpiti» du Tancrède de Rossini, et la basse allemande Sebastian Pilgrim dont on a à nouveau pu apprécier les qualités théatrales, les jeux d´expression faciale, tant dans le comique ( son Osmin de l´Enlèvement au sérail) que dans le tragique dans l´air de Jacopo Fiesco extrait deSimon Boccanegra.
Les quatre concurrentes retenues pour la finale exclusivement féminine ont suscité un enthousiasme mérité. Suzanne Fischer a donné un «How beautiful it is» (Britten, The turn of the screw) remarquable de justesse émotionnelle avec un phrasé impeccable, sa Gilda dans «Caro nome» étant plutôt empreinte de retenue dans l´expression, avec plus de finesse que d´eclat. L´Américaine Emalie Savoy a une présence physique impressionnante qui n´a d´égale que la puissance de son organe: une soprano qui donne de beaux graves dans le «Vado, ma dove ? Oh Dei!», avec un sens aigu de la dramatisation. Elle a interprété ensuite l´Air des bijoux, exprimant avec pas mal d´enthousiasme l´émerveillement naïf de Marguerite. Son attaque («Les grands Seigneurs…») ne brille pas par l´articulation et, si son français est généralement correct, on décèle ça et là une erreur de prononciation («Hun miroir», donné avec un h aspiré incongru). Sooyeon Lee a charmé par sa voix délicatement filetée dans l´aigu et la drôlerie de son interprétation et le beau colorature de ses «Oiseaux dans la charmille» . Enfin, dernière candidate à se produire, but not least!, la brillante prestation de la Française Marion Lebègue qui a littéralement brûlé les planches avec le périlleux exercice straussien du «Sein wir wieder gut» extrait d´Ariadne auf Naxos, un air bourré d´embûches et que Marion Lebègue a chanté avec aplomb et maestria, avec notamment un «Dennoch, dennoch…» absolument fabuleux. Cette chanteuse a une présence en scène et un charisme époustouflants. Elle a choisi une tenue de gitane, une robe rouge magnifiquement brodée de noir, et une coiffure élaborée pour donner avec éclat un envoûtant «Près des remparts de Séville» digne de la cour des plus grandes. Voila une sérieuse candidate au premier prix, et, quel que soit le verdict du jury, une chanteuse dont aura un plaisir passionnant à suivre la carrière!
Ce beau tableau a cependant été entaché par le curieux morceau imposé, une composition commise par la compositeure Chaya Czernowim, intitulée Adiantum Capillus-Veneris, le nom latin d´une fougère. Une histoire de fougère donc, ces cheveux de Vénus n´étant autre que la capillaire de Montpellier: cette capillaire entre dans la composition d´un sirop aux vertus pectorales, et c´est bien ce qu´on a pu entendre, une espèce d´expectoration discrète. Point de musique, pas de chant, aucune parole, mais des respirations sifflées, des inspirations retenues. Madame Czernowin a introduit son oeuvre en nous annonçant qu´on n´entendrait là rien de dramatique ni de tragique, rien de semblable à ce qu´on connait, mais qu´il s´agirait d´un autre type d´expression, une étude sur la fragilité, un poème en musique écrit sur une ligne presque invisible, tout en intériorité.
Et effectivement il n´y eut pas de chant, mais des expirations soufflées dans un micro (sic!), des rétentions respiratoires, des sifflements, des bouches en cul-de-poule et autres exercices de néo-prayanama. Et ce qui devint invisible, c´est le public qui se mit à quitter la salle, dès que le premier chanteur, l´élégant contre-ténor coréen Siman Chung, se fut livré aux mimiques de l´exercice imposé. Heureusement, le morceau imposé était exécuté par les demi-finalistes en deuxième apparition sur scène. En seconde partie, avant que les quatre derniers chanteurs ne reviennent en scène pour le morceau imposé, la salle s´est, sans exagérer, tout simplement vidée aux deux tiers…
Le public munichois s´est montré discipliné et surtout respectueux du travail des concurrents. Il s´est abstenu de huer cette étrange contre-oeuvre. Seule une dame dans l´assistance s´est mise à rire tout haut de très bon coeur, un peu à la manière de l´enfant du conte d´Andersen, Les habits neufs de l´empereur, qui s´écrie en voyant passer son souverain dans le plus simple appareil: «Mais il n´a pas d´habit du tout!» Sans doute le fou-rire de la spectatrice signifiait-il «Mais ce n´est pas du chant!»!
Que l´on réserve ce type d´expérimentation à un festival de musique contemporaine, soit! Mais quand l´on pense un moment à l´énorme masse de travail des jeunes chanteurs et chanteuses qui se préparent à un concours de chant des plus prestigieux, et qui traversent des continents pour venir s´y présenter, quand l´on songe à l´énorme talent qu´il faut pour accéder à la demi-finale, au tremplin que ce concours représente dans une carrière de chanteur, on comprend aisément qu´une grande partie du public ait marqué son désaccord en quittant dignement la salle.
Oublions cela, la célébration du chant continuera lors de la finale de demain, 12 septembre, qui sera aussi diffusée en video live stream sur le site de BR Klassik.
Luc Roger