Livret (italien) : Achille De LAUZIERES et Angelo ZANARDINI
Théâtre du Capitole de Toulouse
Dimanche 30 juin 2013
Fin de saison grandiose au Théâtre du Capitole de Toulouse ! En cette année du 200ème anniversaire de la naissance de VERDI (et WAGNER) la direction du Théâtre n’a pas dérogée à la règle en affichant deux ouvrages de ces compositeurs, mais cette fois le choix a été particulièrement judicieux. Pour WAGNER le trop rare RIENZI et pour VERDI son chef d’œuvre DON CARLO : un triomphe amplement mérité pour les deux œuvres.
Cet ouvrage fait partie des derniers écrits par VERDI alors âgé de 57 ans ; suivront AIDA, LA MESSE DE REQUIEM, OTELLO et FALSTAFF. En ce début de 1866 il se trouve à PARIS lorsqu’il commence à écrire cette œuvre mais incapable de travailler ailleurs que chez lui en Italie, à Sant-Agata, il emporte le livret et travaille avec toute l’énergie qu’on peut imaginer. L’œuvre a d’abord été écrite en français et en cinq actes sous le titre DON CARLOS puis maintes fois remaniée, réécrite en italien, pour finalement être créée à MILAN en 1884 dans sa version la plus fréquemment jouée : DON CARLO, 4 actes et en italien. Le sujet est basé sur une nouvelle de SCHILLER mais les librettistes ont pris certaines libertés concernant notamment les relations entre l’Eglise et l’Etat ; en revanche ces thèmes sont abordés avec courage et sérieux, donnant à l’ouvrage toute sa puissance. L’autre point fort est la caractérisation très marquée des principaux personnages : on trouve sur scène six intervenants à forte personnalité qui vont tour à tour essayer de s’imposer, chacun à leur manière.
Cette version 1884 que nous propose le Capitole de Toulouse a été complétée par la « lamentation » qui termine la scène de la prison après la mort de Posa, cet air n’existant à l’origine que dans la version française. Nous devons remercier les chanteurs et la direction du théâtre de nous faire entendre ce pur moment de bonheur, et l’on se plaît à espérer qu’à l’avenir il puisse être définitivement intégré à la version italienne. Le succès de cette représentation ne tient pas seulement à la sublime musique de VERDI mais également à la qualité du plateau vocal et à un véritable chef Verdien.
Côté voix nous atteignons des sommets ! Honneur aux dames, mais pour commencer ce n’est pas au rôle principal que je souhaite adresser mes félicitations : c’est à la princesse Eboli interprétée par Ekaterina GUBANOVA qui recueille un maximum d’applaudissements et ce n’est que justice. Dès son air d’entrée, (la chanson Sarrazine également intitulée chanson du voile) on ne peut que remarquer et apprécier son timbre rond et chaud allié à une formidable puissance savamment contrôlée. Non seulement la chanteuse est admirable mais l’actrice est incroyable de vérité ; elle passe avec autant de facilité du rôle de la charmeuse (pour séduire Carlo) à celui de la furie lorsqu’elle découvre que son amour n’est pas partagé : un grand moment ! A ses côtés Tamar IVERI interprète une Elisabeth toute en retenue, d’une dignité royale. Elle incarne une femme jeune mais déjà brisée psychologiquement : elle aimait un jeune homme qui partageait son amour (Carlo) mais les intérêts politiques sont venus briser ce beau rêve et l’ont obligée à épouser le roi, père de son promis. Elle fait le maximum pour tenir dignement son rang de reine mais son cœur et son âme n’appartiennent pas à ce roi, qu’elle respecte mais ne peut pas aimer. Le chant de Tamar IVERI nous retranscrit parfaitement tous les sentiments par lesquels elle passe tout au long de l’ouvrage, et elle nous tire les larmes dans son air final « Tu che le vanità…» : une bien belle artiste.
Côté masculin nos oreilles sont aussi à la fête, à l’exception du Grand Inquisiteur (Kristinn SIGMUNDSSON) dont la voix totalement usée est très pénible à supporter : en revanche l’interprète est crédible.
Le très complexe rôle de Carlo a été confié à un tout jeune ténor américain Dimitri PITTAS qui le chantait pour la première fois. Le timbre est séduisant, la diction parfaite, la voix particulièrement sonore et je dirais peut-être trop. Ce ténor n’a jusqu’à présent chanté que des rôles moins lourds (Macduff dans MACBETH, le Duc de Mantoue dans RIGOLETTO) et ceci explique peut-être pourquoi il a tendance à chanter la partition en puissance ; il lui faudra apprendre à canaliser cette énergie vocale sous peine de voir sa carrière prématurément écourtée, ce qui serait dommage parce qu’il a parfaitement saisi la psychologie de ce personnage oh combien tourmenté.
L’ami et confident de Carlo n’est autre que Rodrigo, Marquis de Posa, interprété par Stefano ANTONUCCI en remplacement de Christian GERHAHER souffrant. Il n’est jamais facile de remplacer un artiste au dernier moment, et je dois avouer que Stefano ANTONUCCI a fait plus que sauver la représentation. Il est entré immédiatement dans le rôle avec beaucoup d’assurance, et a su imposer sa belle personnalité. Vocalement s’il connait quelques petites difficultés d’émission dans le grave, nous avons été particulièrement gâtés par ses aigus vaillants et d’une clarté absolue : nous ne pouvons que le remercier.
J’ai gardé le meilleur pour la fin avec un Roberto SCANDIUZZI absolument… royal ! Dès qu’il parait, il force le respect et impose son si magnifique timbre de basse. La voix est ample, le registre aussi égal dans les notes graves que dans l’aigu qu’il atteint avec grande facilité ; le souffle est long et contrôlé, le phrasé parfait, la prosodie idéale et l’interprète émouvant aux larmes. Comment rester insensible à cette lamentation qui termine l’acte de la prison, exprimant le chagrin profond qui unit alors Carlo et son père ? Leurs deux voix se mêlent avec une telle harmonie, un tel désespoir, qu’il nous est impossible de ne pas laisser couler une larme : du grand art !
Je tiens également à féliciter l’ensemble des intervenants (« il n’y a pas de petits rôles chez VERDI, seulement des artistes qui ont moins à chanter » me disait un célèbre baryton spécialiste de ce compositeur) ; il y avait longtemps que je n’avais entendu l’air des députés flamands aussi bien interprété : bravo à tous !
Je ne peux pas terminer mon propos sans parler de la magistrale direction d’orchestre du Maestro Maurizio BENINI ; rien n’est laissé de côté dans cette partition ! Les tempis sont parfaits, il sait faire ressortir les couleurs de tous les instruments, et nous transporte dans un monde de musique dont on ne voudrait jamais sortir.
Bravo aussi à la très belle mise en scène de Nicolas JOEL, adaptée par Stéphane ROCHE, qui nous plonge dans un monde oppressant mais jamais trop noir. Les superbes décors savent s’imposer sans jamais nous agresser ; même ce plafond à caissons omniprésent sait faire place à des arbres et au dernier acte s’ouvrir sur le fantôme de Charles Quint venu chercher Carlo : une bien belle image.
Un grand merci à toute l’équipe du Théâtre du Capitole de Toulouse pour nous avoir proposé ce magnifique spectacle, mais encore une fois le grand triomphateur reste VERDI !
Elisabeth de Valois : Tamar IVERI
Princesse Eboli : Ekaterina GUBANOVA
Don Carlo : Dimitri PITTAS
Rodrigo Marquis de Posa : Stefano ANTONUCCI
Roi Philippe II : Roberto SCANDIUZZI
Le Grand Inquisiteur : Kristinn SIGMUNDSSON
Chœur et orchestre du Théâtre du Capitole de Toulouse
Direction musicale : Maurizio BENINI
Mise en scène : Nicolas JOEL / Stéphane ROCHE
Costumes : Franca SQUARCIAPINO
Décors : Ezio FRIGERIO
Corinne LE GAC