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Pour les premiers concerts de la semaine, le Festival Richard Strauss 2016 a invité l´Orchestre philharmonique d´Essen (Essener Philarmoniker) et les chanteurs de l´Aalto-Musiktheater Essen pour une version concertante d´Elektra suivie le lendemain soir d´ un concert dans le cadre du cycle de poèmes symphoniques entamé l´an dernier et qui se terminera l´année prochaine. Au programme, Till l’Espiègle, op. 28 (Till Eulenspiegels lustige Streiche), composé par Richard Strauss en 1894-1895, et Ainsi parlait Zarathoustra (Also sprach Zarathustra) op. 30 composé lors de l´été 1896. Tomáš Netopil, ancien directeur musical du Théâtre de Prague, aujourd´hui directeur général de la musique du Théâtre et de la Philharmonie d´Essen, est au pupitre.
Tomáš Netopil et son orchestre ont rendu la complexité de la partition et des thèmes d´Elektra avec une précision qui fait la part belle tant aux détails qu´aux émotions et à la rythmique, avec d´emblée une installation quasi mesmérienne de la tension dramatique.Netopil et ses 100 musiciens sont parvenus à plonger le public dans un état d´attention quasi hypnotique pendant toute l´écoute du drame musical des Atrides.
Cette réussite est due également au beau plateau avec l´extraordinaire performance deRebecca Teem, une chanteuse américaine wagnérienne et straussienne que l´on a pu récemment entendre au Bayerische Staatsoper dans la Brünnhilde du Gotterdämmerung( lors de la saison 2014/2015). Si au Staatsoper, Rebecca Teem assurait un remplacement au pied levé et avait tant bien que mal fait face aux difficultés de l´absence de répétition, on avait cependant fort apprécié sa prestation du troisième acte et son air final d´une justesse émouvante. Elle est très attendue en juillet dans le rôle à Francfort, pour l´ensemble du Ring.
Son Elektra de Garmisch atteint au sublime, elle vient de la chanter en avril et mai à l´Aalto-Theater et la reprendra encore à Stuttgart en 2017 avec Sylvain Cambreling au pupitre. Rebecca Teem compose une Elektra qui semble divaguer entre le rêve et la réalité, stupéfiée par une douleur indicible qui alimente sa haine vengeresse. La cantatrice semble possédée par son personnage au point de plonger dans une transe pythique pour rendre ses arrêts de mort. Elle accompagne sa transe d´une danse subtile qui anime le corps sans le déplacer et semble le faire léviter, avec une présence en scène confondante. On reste suspendu à son personnage et à ses lèvres pendant toute la durée du spectacle. La raucité de sa voix, la fulgurance de ses montées dans l´aigu, l´aura chthonienne qu´elle donne au personnage, tout contribue à la fascination que dégage sa composition méphitique d´une Elektra aux purs accents exacerbés de la tragédie antique et rendue par son grand soprano sombre et dramatique.
Renée Morloc, -qui remplace Doris Soffel, souffrante, campe une excellente Clytemnestre de son contralto aux belles couleurs sombres avec des profondeurs de voix qui donnent un répondant subtil et rehaussent encore le chant de Rebecca Teem. Voila de la scène bien comprise et un beau travail d´équipe. Katrin Kapplusch, une chanteuse à la stature et au port impérial, donne une Chrysothémis d´un lyrisme clair et intense mais ne passe pas toujours l´orchestre.Très puissant aussi l´Oreste de Tijl Faveyts avec une magnifique basse bien projetée et aux contours très définis, une articulation impeccable, un chanteur dont le Sarastro avait déjà été fort remarqué au Festival d´Aix-en-Provence 2006. A noter enfin la qualité du choeur des Ménades, traité dans une présentation à l´antique, et très soigneusement entraîné par Patrick Jaskolka.
Une grande soirée straussienne avec la performance impeccable de Rebecca Teemdans son interprétation hallucinée d´un personnage sur le tranchant de la folie et dans sa capacité à rendre les violences discontinues de la partition. Cette rencontre musicale avec ce grand talent dramatique donne l´envie d´aller l´écouter dans le rôle à Stuttgart début 2017.
Luc Roger
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