Elsa Benoit chante dans le Comte Ory de Rossini au Théâtre Cuvilliés

Elsa Benoit chante dans le Comte Ory de Rossini au Théâtre Cuvilliés
Elsa Benoit

Nous sommes à un jour de la première. La soprano française Elsa BENOIT a bien voulu prendre le temps de se livrer au jeu de l´interview pour Opera World.

Entretien avec Elsa Benoit, la Comtesse Adèle du Comte Ory de Rossini au au Théâtre Cuvilliés 

Opera World. Bonjour Elsa Benoit et merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions. Vous êtes membre de l´Opéra Studio du Bayerische Staatsoper depuis la saison 2013-2014. L’an dernier vous avez chanté le rôle titre dans la «Mirandolina» de Martinů et à partir du 12 avril vous interpréterez la Comtesse Adèle dans le «Comte Ory» de Rossini au Théâtre Cuvilliés de Munich.

Vous êtes Bretonne, originaire de Concarneau. Comment êtes-vous arrivée au chant? Qu’est-ce qui a suscité votre vocation? Avez-vous grandi dans une famille de musiciens?

Elsa Benoit

Le chant a toujours fait partie de la vie familiale. Depuis plusieurs générations, on a toujours chanté à la maison, à chaque repas de famille. Des chansons des années 20, chansons françaises à texte. On n’écoutait pas d’opéra à la maison, cette passion m´est venue beaucoup plus tard. D’ailleurs, au collège, une de mes chansons préférées était L´hymne à l´amour d´Edith Piaf. Je m’entraînais dans ma chambre pour mon plaisir, c´était mon truc à moi. Je ne voulais pas qu´on m´écoute répéter mais j’aimais chanter pour la famille quand j’étais prête. J´ai toujours aimé chanter et avoir du public ne m´a jamais posé problème.

A l’âge de quinze ans, j’ai eu envie de pousser un peu plus loin mon expérience vocale en commençant des cours de chant. J’étais déjà inscrite à l’école de musique de ma ville pour des cours de piano, et, le jour des inscriptions, sans en avoir parlé à personne auparavant, j’ai poussé la porte de la classe de chant. C’était une action guidée par l’instinct que je n’ai jamais regrettée. Mon premier professeur, Patrick Courilleau, m’a fait découvrir comment entraîner ma voix en me faisant faire mes premières vocalises. Le répertoire qu’il me proposait alors était composé de variété, de jazz et, nouveauté pour moi, de classique. J’ai suivi ses cours de chant pendant quatre ans à Concarneau tout en poursuivant mes études littéraires au lycée.

Après le bac, j´ai décidé de partir faire des études de musicologie à Rennes. Je voulais obtenir une licence dans le but de devenir institutrice ou peut-être prof de musique en collège. J´ai toujours aimé l´enseignement et jusque là, il n´y avait encore rien de concret par rapport à la voix. Mon professeur de chant, sachant que je partais à Rennes, m´a suggéré d´essayer de rentrer dans les chœurs de l´opéra de Rennes pour me faire un peu d´argent de poche et vivre une belle expérience. J´ai passé l’audition la veille de mon bac de philo, et ça a marché mais il m´a fallu attendre quelques mois d’avoir 18 ans pour pouvoir commencer à y travailler. Ma première expérience d´opéra fut Les Contes d´Hoffmann d’Offenbach en janvier 2006 dans une très belle production d’Eric Chevalier. J´y ai découvert le monde de l´opéra, les répétitions, les costumes, le maquillage, les coiffures, dans le très beau théâtre de Rennes. J’y ai passé deux ans, combinant la fac et l’opéra. Pendant ces deux ans, un des chanteurs du choeur m’a présenté Valérie Guillorit, professeur de chant au conservatoire supérieur d’Amsterdam. Après avoir pris un cours avec elle, elle m´a invitée à venir travailler avec elle à Amsterdam où je décidais d’auditionner. J´y ai fait mon bachelor de 2007 à 2011. Je suis rentrée ensuite au Dutch National Opera Academy pour y faire mon master en opéra. C’est un programme proposé par le conservatoire d’Amsterdam qui dure deux ans et qui apporte une très bonne expérience professionnelle. Pendant ces six ans aux Pays-bas, j’ai souhaité apprendre, améliorer ma technique, devenir une meilleure chanteuse, me perfectionner. Peu à peu, la voie de l’opéra m’est devenue une évidence.

Opera World. Comment êtes-vous devenue ensuite membre de l´Opéra Studio du Bayerische Staatsoper? Pourquoi avez vous choisi Munich? Avez-vous soumis votre candidature? Y avez-vous été incitée? Comment cela se passe-t-il? 

Elsa Benoit 

En Novembre 2012, comme 600 autres jeunes chanteurs, j’ai déposé ma candidature à Munich en envoyant un enregistrement avec trois airs de Mozart, Verdi et Weber. Soixante chanteurs ont été sélectionnés pour le premier tour d’audition. J’ai ensuite été invitée avec neuf autres chanteurs au second tour afin de chanter devant les directeurs de casting et le Superintendant Nikolaus Bachler. Chaque année, quatre à cinq chanteurs sont retenus et j’ai eu la grande chance d’en faire partie. J’avais aussi envisagé de me présenter à Stuttgart, Francfort et à l’opéra du Rhin à Strasbourg, j’avais aussi été sélectionnée par l’opéra Comique de Paris pour intégrer son académie mais comme les portes de l’Opera Studio munichois m´ont été ouvertes, je n´ai pas poursuivi ces projets, le Bayerische Staatsoper était mon premier choix.

Opera World. Comment se déroule le travail et l´apprentissage à l´Opéra Studio? 

Elsa Benoit 

Je suis en deuxième année d’opéra studio. C’est un programme intensif et éprouvant mais très intéressant et enrichissant. Au sein du studio, j’ai la chance de travailler avec deux professeurs formidables: Margreet Honig et Rudolf Piernay. C’est fantastique de les avoir comme repères au fil de l’année, ils recadrent et font avancer à chaque fois. John Norris est aussi une personne clé du studio, il vient tous les mois, c’est un professeur qui mélange technique Alexander, interprétation et technique vocale. Nous sommes également accompagnés au quotidien par Tobias Truniger, le pianiste-coach et directeur artistique du studio. 

Nous avons aussi très régulièrement des masterclass avec Brigitte Fassbender, Ioan Hollender, Edith Wiens ainsi que des cours individualisés de théâtre/interprétation/préparation aux auditions. Autant dire que parmi cette mine d’informations et de conseils, il faut savoir faire le tri et se faire sa propre petite cuisine. Ce n’est pas évident au début, mais on s’y habitue vite. 

Le directeur du Bayerische Staatsoper nous avait dit le premier jour: «devenez vous-même», c’est effectivement mon travail quotidien. Parce que faire partie du studio, ce n’est pas seulement bénéficier de tant de cours et conseils, c’est aussi être un artiste à part entière et être totalement intégré à la maison d’opéra. J’ai eu la chance de chanter différents rôles sur la scène: Barbarina dans Le Nozze di Figaro de Mozart, Isotta dansDie Schweigsame Frau de Strauss, Blumädchen dans Parsifal, Taumänchen dansHansel und Gretel, sous la baguette d’excellents chefs d’orchestre et aux côtés d’artistes exceptionnels. A l´Opéra studio, on n´est plus étudiant, mais on a commencé sa carrière professionnelle tout en continuant de bénéficier d´une formation. On est en plein dans le métier, mais avec la sécurité d´un encadrement de qualité. Et si cela marche bien, les rôles deviennent de plus en plus importants, ce qui a été mon cas.

Opera World. L´an dernier vous avez remporté un franc succès en interprétant le rôle titre dans l’opéra «Mirandolina» de Martinu. Cette année vous avez été choisie pour chanter la Comtesse Adèle de Rossini, un rôle traditionnellement confié à une soprano colorature et qui exige une grande agilité vocale. Pourriez-vous évoquer les aspects techniques du rôle, ses difficultés? Quels sont vos airs ou vos moments préférés dans cet opéra?

Elsa Benoit chante dans le Comte Ory de Rossini au Théâtre Cuvilliés
Elsa Benoit

Elsa Benoit 

La Comtesse Adèle est un rôle d’un grand challenge parce qu´il demande à la soprane qui l’interprète de posséder une grande étendue vocale, un médium riche, de l’agilité ainsi que de solides notes aiguës. Techniquement, c’est un rôle très difficile, demandant une bonne endurance vocale. Il exige aussi une grande précision musicale. Dans Rossini, un des enjeux principaux est l’ornementation. Dans mes ornements, j’essaye de varier ce qu´on a entendu la première fois, tout en essayant de garder une cohésion dans la ligne mélodique, je souhaite que l’oreille de l’auditeur ne se perde pas dans un complexe enchaînement de notes un peu trop éloigné de la mélodie première.

C’est un rôle très bien écrit par Rossini et malgré des difficultés évidentes, après plusieurs mois de travail, Adèle est pour moi un rôle très agréable et excitant à chanter. 

J´apprécie beaucoup le fait de pouvoir chanter dans ma langue maternelle, cela m’inspire beaucoup. C´est mon deuxième rôle en français car à Amsterdam, j’ai chanté le Feu, la Princesse et le Rossignol dans l’Enfant et les sortilèges de Ravel.

Opera World. Comment vous représentez-vous le personnage de la Comtesse? Le livret évoque l´histoire d´une vertueuse comtesse en prise aux attaques d´un libertin prêt à tout pour séduire des femmes au temps des croisades. Comment cela parle-t-il à une jeune femme du 21ème siècle?

Elsa Benoit

Le problème de la Comtesse Adèle est toujours d’actualité. Dans le livret, elle ne peut fréquenter d’hommes tant que son frère n’est pas rentré des croisades. Cette situation peut se transposer à notre époque, où, des conventions, qu’elles soient familiales, religieuses, sociales, peuvent enfermer certaines femmes ou les mettre sous la coupe d’un mari, d’une famille, d’une communauté religieuse, etc. Adèle veut mourir parce qu’elle n’en peut plus de cette vie où elle ne peut rien faire. L’archétype du coureur de jupons est bien évidemment récurent depuis la nuit des temps. On peut toutes un jour avoir été confrontées à un Comte Ory…

Opera World. La mise en scène a été confiée à Marcus Rosenmüller, un réalisateur de films allemand connu notamment pour «Le Péché selon Sébastien» («Wer früher stirbt ist länger Tot», « Plus vite on meurt, plus longtemps on reste mort »). Pourriez-vous lever un coin du voile sur la mise en scène? Comment se déroule le travail avec le metteur en scène? Comment voit-il la Comtesse? Vos visions du personnage se rencontrent-elles?

Elsa Benoit 

Marcus réalise ici sa première mise en scène d’opéra. Travailler avec lui est un vrai plaisir, c’est quelqu’un de très enthousiaste, compétent, et optimiste. Il est arrivé au début des répétitions avec une multitude d’idées sur l’opéra et la personnalité des personnages, nous avons ensuite développé ses nombreuses suggestions ensemble. C’est quelqu’un de très ouvert à la discussion et nous avons pas à pas fait grandir l’identité des protagonistes. Marcus situe l’action dans les années 1970, ce qui a permis d’actualiser cette histoire datant du moyen âge. Adèle est une femme introvertie et dépressive, voire suicidaire, et c’est au contact de Comte Ory qu’elle prend de l’assurance et (re)trouve sa féminité, son désir, sa confiance en elle. C’est très intéressant pour moi de jouer ce type de personnage évoluant d’un extrême à l’autre, devenant peu à peu une femme libérée, maîtresse de son corps et de ses actes. 

Opera World. La direction d´orchestre est assurée par Oksana Lyniv qui avait déjà dirigé Mirandolina lors de la reprise de l’opéra au début de cette saison. Comment se passe le travail avec Mme Lyniv? Qu´est ce que vous appréciez chez ce chef ? Y a-t-il des spécificités dans le fait de travailler avec une femme plutôt qu´avec un homme?

Elsa Benoit 

Oksana est une chef extrêmement précise et consciencieuse qui ne compte pas ses heures de travail. Elle est entièrement dédiée à son art et est très attachée à l’expressivité des personnages par le biais de la musique. C’est une chef perfectionniste et cela me convient bien parce que je le suis aussi. Oksana est la première femme chef avec laquelle je travaille. Pour moi, ce n’est pas le sexe qui fait la différence mais bien le professionnalisme, les compétences, l’énergie. Nous sommes là pour servir le compositeur, et il est important, je pense, de respecter la partition pour présenter au mieux l’œuvre dans son style.

Opera World. Dans les mois qui viennent, après la Comtesse Adèle, vous chanterez encore à l´Opéra de Bavière Papagena dans «La flûte enchantée» en juin et Eurydice dans l´»Orfeo» de Monteverdi en juillet lors du festival munichois d´opéra. Dans «Orfeo», vous serez aux côtés de Christian Gerhaher qui chante Orfeo et d´Anna Bonitatibus, alors que dans la «Flûte» vous côtoierez René Pape (Sarastro) et donnerez la réplique à Michael Nagy (Papageno). Peut-on y voir les signes avant-coureurs d´une carrière au Bayerische Staatsoper? Ferez-vous bientôt partie de la troupe de l´Opéra bavarois? Quels sont vos projets de carrière dans un avenir proche? Quels rôles aimeriez-vous interpréter?

Elsa Benoit

Pour la saison à venir (2015/2016), je serai membre de la troupe de l’opéra de Klagenfurt en Autriche, j’y chanterai alors les rôles de Despina dans Cosi fan Tutte de Mozart, Tytania dans A midsummer night’s dream de Britten, Micaela dans Carmen de Bizet et Giulietta dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini.

Je ferai aussi mes premiers pas à l’Opéra de Lille dans le rôle titre dans la première mondiale Marta composé par Wolfgang Mitterer sur un libretto de Gerhild Steinbuch. L´opéra sera accompagné par l´ensemble Ictus, un ensemble belge.

Je reviendrai ensuite à l´Opéra de Bavière où je suis très heureuse d’avoir été invitée pour la saison 2016/2017 en tant que membre de la troupe.

Merci, Elsa Benoit, d´avoir bien voulu participer à cet entretien. Nous sommes impatients de venir vous écouter en Comtesse Adèle. Comme on dit en allemand Toi, Toi, Toi, wir drücken die Daumen!

Pour suivre la carrière d´Elsa Benoit, visitez son site.

Agenda et réservation pour la production munichoise du Comte Ory: cliquer ici.

Luc Roger