En travesti, une soirée en pantalons avec la mezzosoprano Anna Bonitatibus

En travesti, une soirée en pantalons avec la mezzosoprano Anna Bonitatibus
En travesti, une soirée en pantalons avec la mezzosoprano Anna Bonitatibus

La question du genre dont on débat si souvent aujourd’hui est loin d’être une nouveauté dans le monde du théâtre puis de l’opéra. Comme le rappelait le présentateur de radio bavaroise Maximiliam Maier qui introduisait les différents arias du récital d’Anna Bonitatibus le rôle de Juliette fut joué par un homme lors de la première du Roméo et Juliette de Shakespeare. La mezzosoprano italienne Anna Bonitatibus, qui connut le lancement international de sa carrière  grâce à son Cherubino a présenté hier soir au public munichois du Prinzregententheater une chrestomathie d’airs en pantalons, arborant au cours de la soirée pas moins de trois costumes: un ensemble pantalon blanc sur corset noir au lamé brillant, un smoking noir et une tenue de loubard gavroche , salopette et casquette sur baskets et chaussettes arc-en-ciel.

J’aime bien l’expression allemande Hosenrolle (rôle en pantalons) qui traduit ce que le français désigne sous le nom de rôle travesti. Ces rôles en pantalon sont souvent  l’expression d’un jeu éblouissant sur les identités de genre et témoignent d’une grande tradition d’opéra: dans des rôles en pantalons, les chanteuses se transforment en personnages masculins et leur prêtent leur voix angélique.  Anna Bonitatibus nous a au cours de la soirée présenté son interprétation extrêmement sensible d’arias écrits pour des voix de mezzo ou de contralto, accompagnée du Münchner Rundfunkorchester placé sous la direction de Corrado Rovaris Ce récital a fait l’objet d’un CD que la chanteuse et le chef ont signé après la représentation. L’enregistrement en avait été réalisé à lé´té 2016et comporte quinze arias dont Anna Bonitatibus présentait hier soir une sélection.

L’orchestre a entamé la soirée avec l’ouverture de Tancredi, à la suite de laquelle la mezzo italienne a interprété „Oh patria. … Tu che accendi. … Di tanti palpiti“ suivi d’un air moins connu extrait de l’opéra Maria de Rohan de Donizetti «Son leggero è ver d’amore». D’emblée on apprécie le choix d’Anna Bonitatibus qui privilégie à chaque instant l’intensité et la justesse de l’expression des affects. Le texte des arias toujours superbement articulé et projeté reçoit l’expression vibrante des émotions de la chanteuse qu’accompagnent son jeu subtil d’expressions faciales. Et on est emporté par le patriotisme de Tancredi ou la pugnacité d’Orphée dans „Qu’entends-je… Amour viens rendre a mon âme“ , ce rôle que Gluck conçut pour castrat et que Berlioz réécrivit pour mezzo.

Les modulations émotionnelles du „Gelido in ogni vena“ du Farnace de Vivaldiconstituèrent un grand moment de la soirée. Anna Bonitatibus détaille dans la répétition des phrases musicales toute la palette des émotions du père devant le corps de son fils mort avec un art consommé du vibrato et une vérité telle que beaucoup sans doute n’ont pu retenir leurs larmes.

Le sourire, la tendresse et le rire ont succédé aux larmes avec l’arietta de Cherubino „Voi, che sapete“, pour lequel la chanteuse a revêtu son dernier costume de scène, puis avec l’air charmant „Toi, le coeur de la rose“ extrait de L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel, chanté comme l’air d’Orphée dans un français impeccable. Le récital se termine par un air plus contemporain de Victor Victoria.

Anna Bonitatibus portée aux anges par les applaudissements du public ravi d’avoir passé une si bonne et belle soirée l’a gratifié de deux encore: Io son Gian Burrasca, un air avec  accompagnement de piano que reconnaîtront les Italien.ne,s qui ont in illo tempore suivi la minisérie télévisée ou lu l’oeuvre de Vamba, et, on s’y attendait car ce fut la carte de visite de la chanteuse, le grand air de Cherubino. Une soirée dont on sort le sourire aux lèvres et le coeur et les oreilles contents!

Luc Roger