« Dans un drame, le style et la langue n’ont aucune valeur s’il n’y a pas d’action » écrivait Giuseppe Verdi en 1856.
C’est pourtant en composant Ernani en 1844 que Giuseppe Verditrouve une alternative entre le patriotisme (souvent exacerbé comme dans Nabuccoou I Lombardi) et le romantisme. Encore fortement influencé par Donizetti, il s’intéresse néanmoins de plus en plus aux individualités en décrivant les passions qui animent ses personnages avec une grande rigueur, et cela s’affirmera tout au long de son œuvre à venir. Il atteindra bien évidemment son apogée en créant les rôles de Lady Macbeth ou de Iago dans Otello !
Autre particularité de cet ouvrage : ici pas de trio amoureux, mais un quatuor ! 3 hommes aiment la même femme, ce qui est une exception dans l’œuvre de Verdi.
La première représentation de cet ouvrage (mercredi 6 juin 2018) sur la scène de l’Opéra de Marseille aurait pu être perturbée, mais cela n’a pas été le cas. En effet M. le Directeur Maurice Xiberras, devant le rideau, informait le public qu’en « raison d’une grève d’une certaine catégorie de personnel technique….. » (on ne connaît hélas que trop cette phrase…) le spectacle serait – selon le terme employé dans le jargon – « dégradé ». En fait nous avons assisté à une représentation quasi normale, à laquelle il manquait – semblait-il – quelques accessoires et jeux de lumière. Dans tous les cas, au niveau du public, rien d’essentiel qui puisse venir troubler le bon fonctionnement et la qualité de cette soirée !
Qualités vocales incontestables, à quelques nuances près, pour l’ensemble des chanteurs. Par pure galanterie, débutons par l’héroïne Elvira interprétée par la soprano chinoise Hui He. En étant particulièrement sévère, on pourrait trouver quelques motifs de non « totale satisfaction » dans son chant et même se poser la question de son adéquation – ou pas – à cette écriture vocale. On relève quelques problèmes de tension excessive qui la pousse à forcer un peu ses moyens et mettent en lumière un certain manque de souplesse, notamment dans le cantabile, exigé dans le belcanto. Un chant un peu haché, une respiration parfois courte et un legato souvent absent, qui devraient néanmoins s’améliorer au fur et à mesure des représentations.
Pas vraiment de remarques négatives en ce qui concerne ses partenaires masculins. Nous avons là un trio de belles et grandes voix, auxquelles viennent s’ajouter des seconds rôles de très bonne facture.
A tout seigneur tout honneur, c’est au roi interprété par le baryton (marseillais) Ludovic Tézier que reviennent les compliments les plus mérités. De retour sur sa/notre scène, il comble une nouvelle fois le public par une prestation magistrale. Racé, imposant par sa stature comme par son chant, il ne fait qu’une bouchée d’une partition qui semble écrite sur mesure pour lui. Il impose naturellement un chant raffiné, une diction et une compréhension du texte idéale, ainsi qu’un legatoexpressif et maitrisé, qui font de son air de l’acte 3 (« O de’ verd’anni miei… ») un moment d’exception. Il est l’expression même de ce que l’on appelle « baryton-Verdi » et ce dernier aurait certainement aimé l’entendre.
L’autre personnage clé, le « chouchou » de tous les publics d’opéras, est le ténor. Pour sa première prestation sur notre scène, on peut dire que Francesco Meli a connu un immense succès. Comment résister à sa formidable projection vocale, à son timbre clair, à son legatoparfait et à ses mezza vocedivines ? Ajoutons à cela un physique quasi idéal avec une ligne très amincie, et nous obtiendrons LE ténor ! Il survole les éventuels soucis que peut poser cette partition avec une facilité déconcertante, abordant son premier avec la prudence qu’exige la sagesse, mais prenant rapidement de l’assurance et nous gratifiant de forts belles variations dans le second couplet de la cabalette. Il alterne puissance et douceur avec aisance et nous retrouvons ici l’art de la demi-teinte, sans parler de ses aigus projetés avec une puissance et une longueur de souffle impressionnantes. A en croire son succès (très mérité) à l’applaudimètre, il peut revenir quand il veut !
Le troisième triomphateur de la soirée est la jeune basse russe Alexander Vinogradov dans le rôle ingrat de Silva, ce vieux protecteur qui est amoureux de sa pupille Elvira dont il pourrait être le grand-père. Il possède un véritable timbre de basse avec également une grande souplesse vocale qui lui permet de distiller un chant tout en subtilité et raffinement mais particulièrement expressif. A revoir avec plaisir lui aussi…
Parmi les seconds rôles on ne peut passer sous silence les brèves, mais remarquées, interventions de Christophe Berryen Riccardo(très joli timbre de ténor) et d’AntoineGarcinen Iago(déjà !), sans omettre la présence discrète d’Anne-Marguerite Werster dans le rôle de la suivante Giovanna.
Comme dans tous les ouvrages de Verdi, le chœur revêt une importance capitale. Qu’il s’agisse du chœur masculin – tour à tour protecteur ou félon – ou du chœur féminin du premier acte dont on ne sait s’il est menaçant ou simplement curieux. Quoi qu’il en soit, il s’avère un élément essentiel de l’ouvrage et encore une fois la phalange de l’Opéra de Marseille, sous la direction d’Emmanuel Trenque, s’est montrée parfaite.
Pour compléter cette représentation nous ne pouvons passer sous silence la prestation de l’orchestre sous la baguette de M° Foster. Une direction particulièrement attentive, aussi bien au plateau qu’aux musiciens, qui a su mettre en valeur une partition trop souvent et injustement oubliée des grandes scènes.
Que dire de la mise en scène de Jean-Louis Grinda, qui n’est pas venu saluer – certainement contrarié par ce mouvement de grève ? Il aurait pourtant pu venir récolter les fruits de son travail, particulièrement respectueux du livret et des interprètes. Il est agréable de ne pas avoir à se casser la tête pour chercher à comprendre le sens caché (ou pas) des élucubrations de ces nouveaux metteurs en scène, dont le seul objectif est de se mettre en valeur. Ici rien de tout cela, et c’est la raison pour laquelle je tenais à le remercier pour sa lecture claire sans être pour autant dénuée de nouveauté.
Merci également à la Direction de l’Opéra de Marseille pour ses choix toujours judicieux, qu’il s’agisse des œuvres ou des interprètes.
Corinne LE GAC