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Le Festival de musique ancienne d´Innsbruck fête son quarantième anniversaire. A cette occasion, en présentant le Matrimonio segreto de Cimarosa, son Directeur général Alessandro de Marchi déroge à la tradition de ce festival dont la vocation réside dans la redécouverte d´opéras baroques peu ou pas connus. Ce ne peut évidemment être le cas du Matrimonio qui a connu un succès ininterrompu depuis sa création en 1792. Mais cette exception à la règle n´a visiblement pas dérangé un public ravi de revoir cet opéra si réussi, d´autant qu´il est présenté dans une version quasi intégrale, ce qui est une des autres images de marque du festival. La production tyrolienne dure une bonne heure des exécutions habituelles, ce qui permet de découvrir le pépiement des subtilités du livret de Giovanni Bertati et d´apprécier pleinement le rythme théâtral alterné des récitatifs et des parties chantées.
Le choix de l´intégrale a pour effet l´exigence d´un jeu théâtral d´une qualité au mois égale à elle du chant. C´est ce que réussissent admirablement les chanteurs et les chanteuses, et spécialement les bêtes de scène que sont le baryton Renato Girolami en Comte Robinson et la basse Donato di Stefano qui incarne Geronimo, le père de la mariée en quête de titres de noblesse. Il en va de même des autres protagonistes, y compris de la mezzo Loriana Castellano, qui a repris le rôle de Fidalma à Vesselina Kasarova qui, blessée suite à une odieuse agression en rue au temps des répétitions finales, a dû renoncer au rôle et rentrer chez elle en Suisse pour se soigner. Loriana Castellano, qui a déjà interprété la partie de Fidalma à plusieurs reprises en Italie, a intégré en quelques jours seulement les positionnements et les mimiques plutôt complexes d´une mise en scène élaborée, faisant preuve d´un grand professionnalisme.
La mise en scène est l´oeuvre de Renaud Doucet, le metteur en scène et chorégraphe français bien connu qui travaille depuis octobre 2000 en parfaite complicité avec son partenaire André Barbe, concepteur des décors et des costumes. Au départ de l´idée que cela caquette beaucoup dans cet opéra de la fin du 18e siècle, ils ont transposé l´action dans l´univers clos du poulailler rococo d´une basse cour, transformant les protagonistes en volailles, coqs, poules, dinde et dindon. Le rideau d´avant-scène nous donne à voir la gravure d´un couple de ces gallinacés dans un encadrement rococo.
André Barbe élabore son décor noir et blanc à la manière d´une bande dessinée en noir et blanc, un décor qui évoque un conte pour enfants où des animaux anthropomorphes vivent leurs petites aventures: deux nichoirs surélevés auquel on accède par des marches surdimensionnées, pour les unes faites d´un empilement de vieux livres, une mangeoire, une tasse de porcelaine ébréchée renversée, une gigantesque chaise Louis XV au cannage défoncé décore le poulailler en réduisant par comparaison d’échelle la taille des chanteurs. Les costumes sont plus extraordinaires et désopilants les uns que les autres. Les chanteuses sont revêtues de robes à crinolines étirées en longueur dont les volants se terminent à hauteur de genoux qui leur donne la forme des poules. Elle sont aussi coiffées à la poule, avec une perruque plus huppée et ébouriffée pour Carolina et une perruque beaucoup plus sérieuse et hautaine pour Elisabetta. Le Comte Robinson apparaît en vieux coq écossais avec de gros barbillons, un kilt et une tête à plumage roux. Geronimo est un coq empâté avec ses barbillons tout aussi volumineux que ceux de son compère et une grosse crête rouge un peu aplatie. Le serviteur du Comte est un dindon, tout comme la tante Fidalma, ce qui laisse prévoir une fin heureuse pour ces oiseaux-là. Paolino est un jeune coquelet qui n´a pas le gabarit de ses aînés, bien à l´image du livret qui lui donne un rôle de pleutre et de couard, son manque de fortune et de position ne l´ayant pas vraiment armé pour la vie en société. Les coqs montent sur leurs ergots, les poules dandinent de la crinoline, les chanteurs et les chanteuses adoptent les mouvements caractéristiques des gallinacés, cela glousse, cela caquette, cela griffe le sol de ses pattes, le dindon fait la roue, tout ce petit monde cagnette, claquette, cloque, clousse et crételle , et à l´occasion, pour les femelles, cela pond un énorme d´oeuf, doré dans le cas de Fidalma, puisque elle tient les cordons de la bourse. C´est infiniment drôle, léger et amusant, et cela convient bien au genre du dramma giocoso. Et pour placer faire évoluer les hôtes du poulailler, les dons de chorégraphe de René Doucet font merveille
Quant à la musique, elle met en joie comme du Rossini ou du Mozart, mais Alessandro de Marchi et son orchestre l´ Academia Montis Regalis ne se limitent pas à cette évidence, il souligne aussi le aspects belcantistes de la partition. Sa longue pratique de l´opéra baroque lui permettent aussi d´éviter que l´ennui ne s´installe à l´audition des longs récitatifs. En bonne intelligence avec le metteur en scène qui semble avoir bien étudié les combats de coqs ou de poules lorsqu´elles installent leur hiérarchie, il les organise souvent comme d´amusantes joutes oratoires accompagnés de mouvements typiques des gallinacés. Tout ceci n´est rendu possible que si les chanteurs ont le sens du travail d´équipe, et c´est le cas, un travail rondement mené tant par les deux coqs, Renato Girolami et Donato Di Stefano, que par les deux soeurs-poules, Giulia Semenzato, une Carolina exquise qui joue les rebelles, et Klara Ek, dont on se rappelle encore avec délice la Rosmonda du Germanico de l´an dernier, et qui ici interprète la soeur aînée sérieuse et très assise sur son rang et ses prérogatives. Ces quatre chanteurs livrent un travail très homogène. Le ténor de Jesus Alvarez reste malheureusement à la traîne du reste du plateau, avec une ligne de chant fort plate sans grandes qualités d´expression émotionnelle, avec une voix trop légère pour donner de la crédibilité et de la consistance à son personnage.
On passe une délicieuse soirée à voir ce spectacle, très acclamé par un public ravi aux anges.
Luc Roger
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