Opéra en 3 actes
Compositeur :Giuseppe VERDI. Livret : Francesco Maria PIAVE, d’après une pièce de : Lord BYRON
On pourrait aisément sous titrer cet opéra : “Le Triomphe du Mal” !
Avec cette œuvre composée en 1844, nous pouvons dire que VERDI entame ses « années de galères » ; non pas qu’il n’ait rien à composer, au contraire ! Alors qu’il n’a écrit « que » 4 opéras entre 1839 (OBERTO) et 1843 (I LOMBARDI), il va enchainer 15 opéras en 9 ans entre 1844 (ERNANI) et 1853 (LA TRAVIATA), allant même jusqu’à écrire 2 ou 3 ouvrages par année (1847 : MACBETH – I MASNADIERI – JERUSALEM). Pourtant cette période le laisse insatisfait ; en effet, il doit fournir un nombre précis d’ouvrages dans un laps de temps imposé et ne peut donc pas soigner sa composition comme il le voudrait. Si l’on imagine à quoi aurait pu ressembler un ATTILA, un MACBETH, un RIGOLETTO, un TROUVERE ou une TRAVIATA si VERDI avait eu un peu plus de temps pour les peaufiner, cela laisse rêveur…
Pour en revenir à cette année 1844, après le triomphe d’ERNANI, VERDI met la main sur une œuvre de Lord BYRON, poète et écrivain à la mode. Avant de quitter Venise pour Milan il avait promis de composer un nouvel opéra pour La Fenice, mais au même moment il est sollicité à la fois par le San Carlo de Naples et le Théâtre Argentina de Rome. C’est finalement dans ce dernier lieu que sera créé « I DUE FOSCARI » le 3 novembre 1844.
Cette œuvre est à l’opposé du mélodrame d’opéra caractéristique de la période romantique. Il s’agit là certainement d’un des ouvrages les plus sombres du compositeur tant du point de vue de l’atmosphère oppressante du pouvoir que de celui du caractère particulièrement dramatique (voir névrotique) des personnages. Il n’y a aucune lueur d’espoir dans cet ouvrage : le pessimisme, le négatif et le désespoir s’imposent et triomphent, plaçant ainsi cette œuvre dans une case à part. Même la régate sur la Piazzetta n’offre qu’un très court moment musical joyeux, immédiatement interrompu par l’arrivé de Jacopo LOREDANO. Cet opéra s’ancre dans le style Verdien que l’on retrouvera plus tard dans des ouvrages tels que : MACBETH, SIMON BOCCANEGRA ou OTELLO ; d’ailleurs le personnage de IAGO dans OTELLO ne déclare-t-il pas à la fin de son Crédo : « E poi ? … E poi ? La morte è il nulla » !
L’histoire est assez simple à résumer : Francesco FOSCARI est élu Doge de VENISE au détriment de son ennemi Petro LOREDANO, qui sera retrouvé mort peu de temps après sans que l’on en connaisse les causes. Son fils Jacopo parvient à convaincre le Conseil des Dix que Jacopo FOSCARI (fils du Doge) est responsable de la mort de son père ; à défaut d’obtenir sa mort, il fait voter son exil définitif sans autoriser sa famille à le suivre. Jacopo FOSCARI mourra sur le bateau au moment où son père obtenait les aveux de l’assassin et Jacopo LOREDANO fera voter la destitution du Doge qui expirera devant tant d’épreuves.
La production que nous offre le Capitole de TOULOUSE est belle et surtout particulièrement intelligente. Le rideau s’ouvre sur une statue en buste, celle du Doge, prolongée par un escalier pour le premier tableau. Ensuite elle pivotera pour laisser apparaitre les appartements du Doge et se transformera également en prison. Finalement au dernier tableau nous la découvrirons dégradée puis envahie par l’eau dans laquelle expirera le Doge : le pouvoir, la puissance et la chute !
Malgré l’omniprésence (omnipotence) de cet élément, la circulation des protagonistes est aisée, et ils ne sont pas gênés non plus par les très jolis costumes.
Vocalement on atteint des niveaux d’excellence. Honneur à la gente féminine en la personne de Tamara WILSON, interprète de Lucrézia CONTARINI. La soprano américaine déploie un volume sonore assez impressionnant, tout en étant parfaitement capable de nuances lorsque la partition l’impose. Il y a de l’Abigaille dans cette voix mais aussi peut-être une future Lady Macbeth. Le timbre est rond, les trilles bien en place et la comédienne très crédible.
Côté masculin, pour ce qui est de la puissance vocale, nous sommes particulièrement gâtés. Le Doge, interprété par le baryton roumain Sébastian CATANA, dégage une puissance qui laisse pantois. Non seulement l’homme en impose par son physique mais le chanteur nous fait entendre une voix de stentor, non exempte de finesse lorsque l’écriture l’exige. Le phrasé est parfait, la diction excellente et il termine l’ouvrage, pourtant oh combien épuisant, dans une forme impressionnante : un nom à retenir ! Le ténor vénézuélien Aquilès MACHADO arrive à imposer immédiatement son personnage de Jacopo FIESCO et ce n’est pourtant pas si facile. Il possède une voix très sonore, placée très bas dans le médium, mais ses aigus sont puissants tout en sachant parfaitement moduler son chant, ce qui le rend très intéressant. Le comédien est également très émouvant et lors de ses adieux à sa femme lorsqu’il chante « épouse malheureuse… et veuve d’un mari qui conserve les jours… » il est difficile de retenir une larme. Dans le rôle du « méchant de service » la basse brésilienne Léonardo NEIVA est tout à fait crédible si ce n’est qu’il est plus baryton que basse. Ses graves manquent de profondeur alors que le médium est très clair : peut-être est-il encore trop jeune pour ce rôle mais la voix est prometteuse. Tous les autres chanteurs étaient parfaitement à leur place mais je souhaite décerner une mention spéciale au chœur, particulièrement bien préparé et dont l’homogénéité a été remarquable.
Que seraient les voix sans la musique, mais que serait la musique sans un chef ? On ne présente plus le grand Gianluigi GELMETTI : aussi à l’aise dans le répertoire de ROSSINI, de MOZART ou de VERDI, il est non seulement un excellent directeur d’orchestre mais il sait aussi très bien s’occuper des chanteurs sur le plateau. Il impose une complicité immédiate et le résultat est au rendez-vous : l’harmonie règne et le spectacle est donc réussi !
Un grand merci au Directeur du Capitole de TOULOUSE et à son équipe pour nous avoir présenté une œuvre trop rarement jouée, dans des conditions vocales, musicales et visuelle frôlant la perfection. En conclusion : venez voir cet ouvrage !
Corinne LE GAC
Interprètes :
Tamara WILSON (Lucrezia Contarini)
Sébastian CATANA (Francesco Foscari)
Aquilès MACHADO (Jacopo Foscari)
Leonardo NEIVA (Jacopo Loredano)
Francisco CORUJO (Bargarigo)
Anaïs CONSTANS (Pisana)
Direction musicale : Gianluigi GELMETTI
Mise en scène : Stefano VIZIOLI
Costumes : Annamaria HEINREICH
Décors : Cristian TARABORRELLI
Lumières : Guido PETZOLD
Chœur et orchestre du Capitole de TOULOUSE. Dimanche 18 Mai 2014