Opéra de MARSEILLE, 4 Octobre 2014
L’Opéra de MARSEILLE rend hommage à un compositeur peu connu Amilcare Ponchielli (1834-1886) qui a pourtant été le professeur de Giacomo Puccini. De sa dizaine d’œuvres ne subsiste aujourd’hui que « La Gioconda » et éventuellement son ultime composition Marion Delorme. La Gioconda est l’adaptation (très libre) d’une œuvre de Victor Hugo intitulée Angelo Tyran de Padoue, dont l’histoire avait déjà été utilisée par Savério Mercadante pour son opéra Il Giuramento.
L’intrigue est assez simple à la base mais la construction du livret la rend particulièrement complexe et souvent peu crédible. Situons les personnages : Enzo Grimaldo est un seigneur déguisé en marin banni par Alvise Badoero grand conseiller de l’Inquisition ; ce dernier a pour épouse Laura qui fut jadis la promise d’Enzo mais dont le mariage avec Alvise lui a été imposé. La Gioconda est une chanteuse des rues vivant avec sa mère aveugle (La Cieca) ; elle est follement éprise d’Enzo, lequel répond favorablement à ses sentiments. Barnaba est le personnage le plus intéressant de l’ouvrage : espion d’Alvise, il est amoureux de Gioconda mais elle le repousse. Cet être démoniaque, sans morale, est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut et va employer tous les moyens pour y arriver même – et surtout – les pires : il pourrait être le frère jumeau de Iago dans le drame de Verdi Otello. Barnaba ne pouvant obtenir les faveurs de Gioconda, il fait accuser sa mère La Cieca de sorcellerie et demande qu’elle soit brulée. Alvise intervient et sur la demande de son épouse Laura il gracie la vieille aveugle, laquelle pour la remercier lui donne un rosaire. Enzo reconnait alors son premier amour et Gioconda est témoin de leurs retrouvailles ; rien n’a pas échappé à Barnaba qui va révéler à Alvise la trahison de sa femme. Ce dernier lui donne une fiole de poison et ordonne qu’elle le boive avant la fin de la fête donnée en son palais. Gioconda ayant compris qu’elle ne pourra pas lutter contre l’amour des deux amants décide de l’aider ; elle lui donne un flacon de somnifère qui simulera la mort et s’empare du poison. Laura boit et s’endort ; Alvise annonce la mort de son épouse au cours de la fête à laquelle assiste également Enzo. Ce dernier pousse Alvise à se dénoncer puis se jette sur lui pour le tuer mais Barnaba intervient et le fait arrêter. Gioconda fait un marché avec Barnaba : elle se donnera à lui si Enzo est relâché et si elle peut emporter le corps de Laura. Il accepte, Gioconda favorise les retrouvailles et la fuite des deux amants, et lorsque Barnaba vient réclamer son dû elle se poignarde et meurt sans entendre que ce dernier a noyé sa mère dans le canal.
L’action se situe à Venise mais la production mise en scène par Jean-Louis GRINDA ne tombe pas dans le cliché, dans la carte postale pour touristes. L’élément principal consiste en une tour constituée d’un escalier à vis en marbre et briques qui se déplace de la droite vers la gauche lorsqu’il s’agit de représenter le palais d’Alvise. Pour le reste il s’agit surtout d’ambiance, d’images suggérées, de sensations, de lumières (superbes d’ailleurs). Les danseurs (formidables) portent les costumes et masques de la Commedia dell’Arte pendant la pantomime, mais le grand ballet de la danse des heures nous plonge plutôt à l’époque du Roi Soleil. L’ensemble des costumes de cette production est une pure merveille et nous aurions grand plaisir à les endosser. On peut reprocher un manque de direction artistique au niveau des solistes, alors que les ensembles sont très bien animés, mais la sobriété fait ressortir la puissance du drame.
Vocalement le plateau est d’un haut niveau, avec toutefois quelques petites réserves. Micaela CAROSI possède un registre étendu mais n’arrive pas toujours à maitriser certains aigus, qui sont parfois désagréables à entendre. Il lui manque surtout énormément de légato qui lui permettrait plus facilement de combler le manque de médium et de passer du grave aux aigus avec aisance. Néanmoins son dernier acte, comportant notamment le grand air Suicido, nous procure un réel plaisir.
Le rôle de Laura est magnifiquement interprété par Béatrice URIA-MONZON, dont on a l’impression que cette partition a été composée spécialement pour elle tant elle colle à son timbre. L’autre triomphatrice de la soirée (toutes voix confondues) a été La Cieca : Il y a très longtemps que je n’avais pas entendu un timbre aussi magnifique : une authentique contralto ! Une voix rare qui nous transporte, nous émeut immédiatement ; on regrette que le rôle ne soit pas plus long et j’espère que l’Opéra de MARSEILLE pensera à nouveau à inviter cette remarquable artiste.
Côté masculin, quelques satisfactions également avec tout d’abord la surprise tant attendue (après 2 défections) : le ténor ! Riccardo MASSI n’est pas encore très connu des scènes internationales (il n’a que 36 ans) mais s’il poursuit ainsi sa carrière on va bientôt beaucoup entendre parler de lui. Son chant suave convient parfaitement à cette musique si mélodieuse (que certains qualifient de mièvre), mais il sait aussi être puissant et l’on s’en rend compte dans le très célèbre air Cielo et mare. A ses côtés, dans le rôle de Barnaba, Marco DI FELICE nous a donné une belle interprétation scénique de cet affreux personnage, même si vocalement il manque de volume dans O Monumento… Il est plus à l’aise dans son deuxième air Pescatore… mais son chant à tendance à forcer un peu, laissant apparaitre un timbre révélant quelques scories. Je ne souhaite pas m’étendre sur la basse qui est, si je puis employer un terme cinématographique « une erreur de casting ». Le timbre n’est pas beau, il manque de graves et les aigus sont forcés : à oublier.
Les seconds rôles étaient corrects ainsi que les chœurs (y compris celui des enfants), mais on ne peut pas passer sous silence le très beau ballet dont tout le monde connait la fameuse Ronde des heures. Les danseurs nous ont offert un très joli spectacle visuel, pas du tout ennuyeux, au contraire ! L’orchestre était dirigé par Fabrizio Maria CARMINATI qui était assez attentif au plateau, mais dont le niveau sonore des musiciens était souvent au-dessus de l’acceptable, couvrant assez souvent les voix des solistes.
Dans l’ensemble un spectacle qu’il aurait été dommage de rater et remercions la Direction de l’Opéra de MARSEILLE de nous l’avoir proposé.
La Gioconda : Micaela CAROSI
Laura Adorno : Béatrice URIA-MONZON
La Cieca : Qiu LIN ZHANG
Enzo Grimaldo : Riccardo MASSI
Barnaba : Marco DI FELICE
Alvise Badoero : Konstantin GORNY
Chœur et orchestre de l’Opéra de MARSEILLE
Direction musicale : Fabrizio Maria CARMINATI
Mise en scène : Jean-Louis GRINDA
Décors : Eric CHEVALIER
Costumes : Jean-Pierre CAPEYRON
Lumières : Jacques CHATELET
Chorégraphie : Marc RIBAUD
Photo : Christian DRESSE
Corinne LE GAC