I Due Foscari a Marseille

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I Due Foscari a Marseille
I Due Foscari a Marseille. Photo: Copyright Christian Dresse

Une œuvre semblable aux autres tout en étant différente : voici le paradoxe de cet ouvrage !

On y retrouve en effet les caractéristiques des principaux opéras de Verdi à savoir, l’omniprésence du pouvoir (qu’il soit divin ou humain), la forte caractérisation des personnages et un sens aigu du drame, mais il y a cette fois une mise en évidence d’une atmosphère de résignation, de soumission, d’incapacité à vouloir inverser les faits, comparable aux symptômes d’une dépression. Quelques moments de colère certes puis une impression immédiate que le combat est perdu d’avance. C’est assurément l’ouvrage le plus « noir » de ce compositeur.

I Due Foscari fut créé le 3 novembre 1844 au Teatro Argentina de Rome, et Verdi dirigea lui-même les trois premières représentations. Le succès fut immédiat (et durable) et le soir de la troisième le compositeur eut droit à plus de trente rappels : ce chiffre fait rêver non ?

L’opéra de Marseille propose une version concertante de cette œuvre et même s’il est impossible de contester le fait que l’opéra est un art complet regroupant voix, musique, costumes, décors, lumières et mise en scène, lorsque nous avons le bonheur d’assister à une prestation vocale d’un tel niveau il est facile d’oublier qu’il ne s’agit « que » d’une version concertante. Dimanche après-midi l’atmosphère était lourde après le bref discours d’hommage aux victimes des attentats de Paris prononcé par l’adjointe aux affaires culturelles de la ville. Public clairsemé mais moment de recueillement et d’émotion intense pendant la minute de silence. Puis le spectacle vivant a repris ses droits et la représentation a commencé par une courte introduction musicale, suivie immédiatement du premier chœur de cet ouvrage.

Avec l’arrivée sur scène des chanteurs nous entrons de plain-pied dans l’œuvre, et notamment grâce au premier air du ténor interprété par Giuseppe Gipali. On a parfois reproché à cet artiste son manque de volume sonore, mais il semble désormais avoir corrigé ce problème. Il nous laisse entendre une voix toujours aussi bien contrôlée, une ligne de chant soignée, un art évident du légato ainsi que des aigus puissants et bien projetés, sans oublier un investissement émotionnel palpable.

I Due Foscari a Marseille
I Due Foscari a Marseille. Photo: Copyright Christian Dresse

La révélation de la soirée est sans conteste la jeune soprano Sofia Soloviy qui ne se contente pas seulement d’être une superbe femme. Elle est également une incroyable interprète tant sur le plan vocal que scénique. Une forte personnalité qui convient parfaitement à ce rôle où se mêlent à la fois des sentiments de révolte face à l’injustice et d’amour absolu pour son époux. Elle est aussi à l’aise dans les passages sollicitant le registre grave que dans les aigus, avec toutefois quelques légères difficultés dans les suraigus, ceci étant peut-être dû à son jeune âge. Un nom à retenir et à entendre à nouveau.

Le grand triomphateur reste, sans grande surprise, le baryton Léo Nucci. Comment fait-il ??? A son âge (73 ans) la voix est restée quasiment intacte et l’énergie est tout simplement stupéfiante ! Lorsque qu’il entre sur scène la tête baissée puis le visage grave, on sait qu’il est déjà dans le personnage. Il entame alors son premier air (« O vecchio cuor… ») sans regarder la partition, entièrement consacré à son rôle, et la magie opère immédiatement. Ce qui suit ne sera que pureté de ligne, intelligence musicale, vibrato contrôlé, sentiments à vif, révolte brisée, émotion totale, larmes et mort. Il est impossible de rester insensible devant tant de talent et la salle lui a réservé debout l’ovation qu’il méritait.

Les autres rôles ont été à la hauteur de ce que nous pouvions attendre, avec une mention spéciale pour la basse Wojtek Smilek dans le rôle du « méchant ». Le timbre est toujours aussi somptueux et sonore et l’on regrette que la partition ne soit pas plus longue. De belles mais trop rares interventions également de la part de Sandrine Eyglier et de Marc Larcher.

Impossible de passer sous silence la remarquable prestation du chef d’orchestre Paolo Arrivabeni. Toujours très attentif à sa phalange comme aux solistes, il parvient à sublimer cette partition par sa direction précise et une économie de moyens appréciable. Belle tenue de l’orchestre et du chœur, toujours très bien mis en valeur dans les œuvres de Verdi.

Un grand merci au directeur de l’Opéra de Marseille Maurice Xiberras de nous avoir permis d’entendre un ouvrage qui n’avait jamais été joué sur notre scène : c’est désormais chose faite et de fort belle façon !

Corinne LE GAC

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