En ouverture de saison, le Ballet d’Etat de Bavière a choisi de présenter le ballet Coppélia dans la chorégraphie de feu Roland Petit (1924-2011). Le travail du célébrissime chorégraphe français fait ainsi sa grande entrée dans le répertoire du Bayerisches Staatsballett. Les rôles principaux étaient dansés lors de la première par Virna Toppi (Swanilda), Denis Viera (Franz) et Luigi Bonino, danseur et maître de ballet invité, en Dr. Coppélius.
Roland Petit fut un des plus importants chorégraphes du 20ème siècle : son oeuvre qui comprend pas moins de 170 ballets n’avait jamais connu de représentation au Théâtre national. Le directeur du ballet, Igor Zelensky, a voulu combler cette lacune. Il avait eu la chance de travailler avec Roland Petit en tant que danseur, une expérience qu’il qualifie de merveilleuse, et il se montre particulièrement heureux de la programmation de Coppelia, un ballet dont il souligne l’humour.
Luigi Bonino
Le choix de Luigi Bonino en tant que maître de ballet est évidemment judicieux: Luigi Bonino qui dansa longtemps au ballet de Marseille, fut pendant de nombreuses années l’assistant de Roland Petit. A Munich, il supervise et entraîne le travail des solistes et, pour les scènes d’ensemble, travaille en collaboration avec son assistante Gillian Wittingham, qui préside aux destinées du Ballet de la Scala. Il danse lui-même le Dr Coppelius lors des deux premières représentations.
En 1975, Roland Petit l’engage au Ballet national de Marseille et lui confie les rôles principaux de Coppélia, Le Jeune homme et la Mort, Notre-Dame de Paris, Le Fantôme de l’Opéra et La Chauve-Souris. Il est également le partenaire de Margot Fonteyn dans Magic of Dance (Petit, 1979) et de Zizi Jeanmaire dans Parisiana 25 (1979), la Revue de Bobino, la comédie musicale new-yorkaise Can-Can, ainsi que dans le show Hollywood Paradise (Opéra de Marseille, 1984). En 1982, il tourne avec Zizi Jeanmaire la coproduction I Love Paris. Roland Petit le choisit comme assistant et danseur pour la création du Mariage du Ciel et de l’Enfer avec le Ballet de la Scala (Milan, 1984). Il est encore le Chat dans Le Chat Botté (1985), Charlot dans Charlot danse avec nous (1991) et interprète Ma Pavlova et Valentine’s Love Songs. Assistant de Roland Petit jusqu’à la fin de sa vie, il est, depuis le décès du chorégraphe, responsable artistique de l’ensemble des œuvres de Roland Petit, œuvres qu’il remonte dans le monde entier. Il a notamment organisé en décembre 2011 une soirée d’hommage à Roland Petit au Théâtre Bolchoï de Moscou.
Un peu d’histoire
C’est à la fin du second empire que le compositeur Léo Delibes se vit confier la musique d’un nouveau ballet, Coppélia ou la fille aux yeux d’émail, basé sur une histoire de l’écrivain allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. Le ballet fut représenté pour la première fois à Paris à l’Académie Impériale de Musique le 25 mai 1870. Ce fut un triomphe et l’oeuvre fut maintenue au répertoire de l’Opéra de Paris et conserva toute sa vogue pendant de longues années au point de devenir un des ballets emblématique du 19ème siècle.
L’argument
Le scénario de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon est librement emprunté au conteur allemand Hoffmann. Nuitter plus scrupuleux que la plupart des emprunteurs et adaptateurs de théâtre, a cité dans son livret, en manière de longue épigraphe, un fragment du conte allemand : l’Homme au sable.
Scénario original
Au premier acte, Coppélia, la fille aux yeux d’émail, est assise, lisant, auprès de sa fenêtre. Les garçons et les fillettes de la ville, intrigués par cette beauté silencieuse et paisible, font une conspiration pour pénétrer jusqu’à elle, et profitent d’une absence de maître Coppélius pour envahir, à l’aide d’une double clef, la maison mystérieuse. Puis l’intérieur de l’atelier du physicien nous apparaît, peuplé d’automates ; les petits maraudeurs qui se promenaient ravis dans ce nouveau palais de la Belle au bois dormant, sont saisis d’épouvante quand les automates entrent tout à coup en mouvement. Mais Swanilda qui les guide finit par s’expliquer le secret ; et quand le maître survient et pourchasse la bande de chez lui, l’audacieuse jeune fille se glisse derrière le rideau où s’abrite Coppélia, la fille aux yeux d’émail. Elle se substitue à l’automate, mais elle y réussit au point de tromper d’abord les regards paternels de l’inventeur. Celui-ci croit devenir fou quand il voit sa Coppélia descendre de son piédestal et passer insensiblement des mouvements les plus mécaniques à la vie réelle. La scène de l’hallucination se termine par une fugue de l’espiègle Swanilda. Le librettiste a mêlé à tout cela une historiette d’amour qui se dénoue au dernier acte dans la fête des fiancés dotés par le seigneur du lieu ; et c’est ce digne seigneur qui dédommage maître Coppélius quand celui-ci vient se plaindre des dégâts commis dans son logis.
La version de Roland Petit
Roland Petit simplifie le déroulement de l’action en raccourcissant la partition, coupant quelques divertissements pour centrer le propos sur les trois protagonistes (ou quatre si on inclut la poupée). Swanilda, inquiète de la fascination exercée par la poupée de Coppélius sur son fiancé, guette les mouvements du physicien. Distrait, Coppélius perd la clé de sa maison, aussitôt récupérée par la jeune fille. Elle s’introduit dans le logis et se substitue à la poupée. De son côté, Franz, fasciné par Coppélia, rentre lui aussi par effraction chez Maître Coppélius. Ce dernier le surprend et parvient à le droguer pour ensuite opérer un transfert magique de l’énergie vitale de Franz sur ce qu’il croit être sa poupée, qui prend vie. Mais très vite la fausse Coppélia devient autonome et finit par mener Coppélius par le bout du nez et à redonner vie à son fiancé.
Grand maître du ballet narratif littéraire, Roland Petit traite tout son ballet avec énormément d’humour. D’entrée de jeu il fait jouer la musique de Delibes par un orgue de barbarie avant même que l’orchestre n’entame l’ouverture. Les ensembles dansés sont souvent traités avec une accentuation de mouvements mécaniques avec des effets des plus amusants. Les soldats et la troupe des jeunes filles semblent issus d’un théâtre de marionnettes ou d’une maison de poupées, une impression que renforce encore le traitement du décor qui présente en fond de scène un vaste mur percé de nombreuses fenêtres où viennent se placer les danseurs. Les costumes et les décors, créations d’Ezio Frigerio, nous introduisent dans un monde de jouets animés : les soldats sont des soldats d’opérette faits pour l’amour et la bagatelle et en aucun cas pour la guerre ; quand ils ne paradent pas, ils passent leur temps à courtiser les jeunes ballerines toutes de rose vêtues. L’amour est traité avec beaucoup de légèreté, sur le mode de la comédie : Franz tente de flirter avec Coppélia sous les yeux de sa fiancée qui n’a pas du tout l’intention de céder le pas à sa rivale et qui n’est d’ailleurs pas innocente puisque elle se laisse volontiers courtiser par la soldatesque une fois que son fiancé a le dos tourné. Sourire amusé encore lorsque Roland Petit fait danser et virevolter Coppélius avec une poupée de chiffons grandeur nature que le physicien soutient dans ses bras et dont les chaussons semblent cousus au bas de ses pantalons. Le pauvre savant, qui a quelques traits du Charlot de Charlie Chaplin, finira pas se retrouver bredouille avec une poupée de bois inanimée dans les bras alors que Franz et Swanilda réconciliés filent vers le parfait amour. Et bien sûr, au milieu des valses et des mazurkas, les jeux de jambes des danseurs et des danseuses rappellent parfois que Roland Petit travailla aussi dans le monde du grand cabaret, à l’Alhambra et au Casino de Paris, le can-can ne pouvait pas manquer à l’appel !
Antoin Grishanin dirige l’Orchestre d’Etat de Bavière. Le chef russe qui avait fait ses débuts au Théâtre national de Munich en 2017 en dirigeant l’orchestre pour Mayerling, un spectacle moscovite invité, revient cette saison au pupitre pour Coppelia. Ce chef au vaste répertoire est notamment un spécialiste de la musique de ballet. Très attentif à la scène et aux mouvements de la danse, il dirige avec une élégante souplesse et un entrain inspiré cette jolie musique qui séduit par l’abondance de ses mélodies, par la variété et la richesse de son instrumentation et par les grâces légères de son rythme. La soirée se déroule comme dans un rêve léger, gracieux, coloré et pittoresque. Avec ses cantilènes expressives, le rythme et le dessin mélodique des airs de danse, la musique suit admirablement le développement psychologique de l’action en le soulignant par les brillances du coloris instrumental. L’excellent travail de l’orchestre rend honneur à la partition à la fois distinguée et piquante de Delibes. Un régal !
Virna Toppi interprète une Swanilda certes très gracieuse, mais plus encore décidée et volontaire. Elle fut soliste au Ballet de la Scala de Milan et fait à présent partie de la troupe du Ballet d’Etat de Bavière en qualité de première soliste. Et la surprise et la fête ont été complètes. Son art consommé de danseuse très habile et sa technique sans faille s’accompagnent de ses qualités de mime spirituelle et douée d’un humour d’une grande finesse. Et, pour ne pas bouder notre plaisir, avec la plus jolie physionomie du monde. Le Brésilien Denis Vieira interprète Franz avec l’énergie peu commune d’un athlète consommé. Il vient de rejoindre la troupe du ballet munichois muni d’un beau bagage professionnel: d’abord demi-soliste au Théâtre municipal de Rio de Janeiro, il enchaîna avec un contrat de deux ans au Ballet de Zurich et travailla ensuite comme soliste invité au Ballet d’Etat de Berlin. Luigi Bonino apporte toute son expérience et son expertise au rôle de Coppélius, pour lequel l’art du mime est capital. Bonino sait en souligner tout le comique sans jamais tourner son personnage en ridicule : il en fait un savant rêveur un peu perdu dans ses rêves utopiques.
Un trio d’exception pour une soirée légère et souriante.
Prochaines représentations au Théâtre national de Munich : 22, 25 26 octobre 2019, 8 et 17 avril 2020, 27 mai et 6 juillet.
Luc Roger