King Arthur de Henry Purcell par le Theater-am-Gärtnerplatz à la Reithalle

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King Arthur de Henry Purcell
King Arthur de Henry Purcell

Le Théâtre-am-Gärtnerplatz nous offre pour sa dernière création de l’année un spectacle total, dans lequel tous les arts de la scène sont étroitement mélangés:le  théâtre, la danse, la musique et le chant, les effets visuels et scéniques. Pour mettre en scène ce semi-opéra datant de la fin du 17e siècle, il a fait appel au génie créatif de Torsten Fischer qui a travaillé en collaboration étroite avec Karl Alfred Schreiner, le directeur de la danse de la Maison.

Torsten Fischer a opté pour une vision résolument moderne de l’oeuvre de Purcell tant il est vrai que l’époque baroque avec ses guerres incessantes, ses épidémies, son sens de la bascule, de  l’instabilité et de l’impermanence présente de similitudes avec la nôtre, et tant il est vrai aussi que l’humanité se trouve en tous temps confrontée au choix de la paix et de l’amour ou de la guerre et de la haine. Fischer place sa mise en scène sous le patronage de John Lennon et d’une des ses plus célèbres chansons (mais ne le sont-elles pas toutes?), Imagine, dont les  paroles lui ont été inspirées à Lennon, par l’espoir d’un monde en paix, dont le chanteur disait lui-même : « Ce n’est pas un nouveau message : avec Give Peace a Chance, nous ne sommes pas déraisonnables, nous disons juste « donnez une chance à la paix ». Avec Imagine, nous disons « Pouvez-vous imaginer un monde sans pays ou religions ? » C’est le même message, encore et encore. Et c’est positif ». 

Herbert Schäfer et Vasilis Triantafillopoulos (décors et costumes) ont conçu le décor simple d’un long plan incliné noir, bordé de néon blanc, qui s’élève vers le fond de la salle où il est surmonté d’un disque blanc, dont l’intensité lumineuse variera tout au long de l’action. Le titre de la chanson de Lennon est dessiné sur le plan incliné, comme un logo. Le bas du plan incliné est entouré d’un muret noir sur lequel se trouve un peu de neige. On ne verra pas l’orchestre que dirige avec une belle sensibilité baroque Marco Comin, il est situé en fond de salle et caché par le plan incliné. Les acteurs pénètrent dans la salle par l’arrière, de part et d’autre du plan.

Les moyens scéniques sont volontairement peu nombreux, simples et extrêmement efficaces. Les costumes, noirs et blancs eux aussi, très réussis, participent de cette simplicité. Les femmes portent des grands et longs jupons noirs de tulle formant d’élégantes corolles, surmontés de vestes et de fraises blanches, et de chapeaux de paille seyants de couleur crème. Le blanc, le noir et le brun clair, telles seront les couleurs du spectacle, auxquelles il faut ajouter la couleur chair des torses musclés des danseurs.. Les hommes, en fracs  noirs, arborent des fraises blanches tant au cou qu’aux poignets. La scène dépouillée, qui nous invite à l’imagination, va servir de support à une série de tableaux remarquablement agencés et chorégraphiés. Le choeur et les danseurs s’avancent des deux côtés du plan incliné au rythme cadencé de danses de cour anglaises post-élisabéthaines pour monter sur le plan incliné où les corolles des jupons ont encore le balancement d’un monde bercé par la paix. Plus pour longtemps! Le Roi Arthur, magnifiquement interprété par le gigantesque Simon Sigah, amoureux de l’aveugle Emmeline, qu’incarne une fabuleuse actrice, Judith Rosmair, va rapidement être en guerre avec son ami, le Saxon Oswald (Markus Gertken) qui tombe amoureux de la femme se son meilleur ami. Tomber amoureux des beaux yeux d’une femme aveugle et se les arracher, tel est le nerf de la guerre. Les langues se mêlent sur le plateau, le plus souvent l’allemand, mais souvent aussi l’anglais, mais si ces personnages se comprennent au début de l’action, ce n’est que pour bientôt s’entre-déchirer. Le combat sera rude, les corolles des jupons seront déchirées ou abandonnées, -plus tard on les verra se déplacer toutes seules sur le plateau, comme de gigantesques insectes, mues sous des danseurs qui s’y trouvent dissimulés. Les fraises tuyautées volent elles aussi, un des ténors (l’excellent Juan Carlos Falcón) s’en garnira les deux bras. Des pourpoints sont arrachés, de plus en plus de corps gisent sur le plateau. Les parties chantées alternent avec les parties jouées. La guerre fait rage, le choeur et les danseurs apportent à bout de bras des boîtes de carton vides sur le plan incliné, qu’ils déchiquettent en mille morceaux. les danseurs se mettent à courir alors que défile sous leurs pas la projection en lettres capitales et énormes de tous les maux du monde, de tous ces mots en -isme: capitalisme, communisme, globalisme, fascisme, nazisme, populisme,…ils courent de plus en plus vite sur les mots défilent de plus en plus rapidement au point qu’on ne peut plus les lire (videodesign de Thomas Mahnecke). 

King Arthur de Henry Purcell
King Arthur de Henry Purcell

En seconde partie, au retour de l’entracte, on voit sur le haut du plan incliné, un amoncellement de grands sacs poubelle noirs. Le peuple des danseurs et des choristes vont les ouvrir et déverser leur contenu: des milliers de grosses perles blanches, de la grosseur d’une balle de tennis, vont dévaler le plan pour être retenues comme par un barrage par le muret d’avant-scène. Elles rappellent le grand cercle lumineux d’arrière-scène, elles évoquent le froid des grêlons et une mer glacée, mais plus tard aussi une mer perlée dans laquelle on peut se baigner dans la paix et la joie retrouvée. Tout est une question d’imagination et de vision, et c’est le génie de cette mise en scène de nous y inviter. De vision justement puisque Emmeline recouvre la vue. Judith Rosmair nous faut ici la démonstration de son incroyable talent d’actrice qui a joué l’aveugle les yeux grands ouverts et anime à présent son regard pour découvrir le monde, le soleil, le ciel, et son amant Arthur, qu’elle ne reconnaît pas. Rosmair nous en donne une interprétation stupéfiante: cette actrice toute menue est une grande dame du théâtre de langue allemande! Les danseurs nous offrent un défilé à l’érotisme lascif en longues robes de paillettes  scintillantes brun or, tous sexes confondus. Des couples se forment, hétéro et homosexuels ou en groupe, qu’importe, et s’aiment sur la scène et dans l’océan de perles blanches. Imagine! Un monde d’harmonie et d’amour et de réconciliation.

On ne s’y retrouve pas toujours  dans ce semi-opéra, où les acteurs disent ce que les chanteurs chantent et ce que les danseurs interprètent par la danse. On assiste constamment à des duplications multiples des personnages qu’illustre fort bien la scène où Emmeline rencontre en effet miroir la soprano (Elle< /em>, interprétée par Leela Subramaniam) qui effectue les mêmes gestes inversés qu’elle., et les chanteurs assument plusieurs rôles, jusqu’à cinq dans le cas du très talentueux Tobias Greenhalgh. Toute la mise en scène joue sur ces superpositions de personnages et de plans: le réel rencontre le symbolique et le mythique, la métaphore est omniprésente et notre monde s’y voit de plus représenté. Vision d’apocalypse, vision d’espoir. Imagine!

Pour invisible qu’ils soient, Marco Comin et l’orchestre du Theater-am-Gärtnerplatz, impriment le rythme en faisant ruisseler la musique de Purcell à laquelle ils donnent des clartés limpides et cristallines. Marco Comin s’est imposé à Munich comme un grand dirigeant baroqueux, que l’on verra quitter le Theater-am-Gärtnerplatz à regret à la fin de la saison.

Un spectacle à ne pas manquer, qui a recueilli l’énorme succès des grands soirs.

King Arthur de Henry Purcell est représenté jusqu’au 18 décembre à la Reithalle. 
Billetterie en ligne.
www.gaertnerplatztheater.de

Crédit photographique:Marie-Laure Briane

Luc Roger

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