C’est à une oeuvre gigantesque, colossale et de toute beauté que Kirill Petrenko s’est confronté avec l’Orchestre national de Bavière et les Choeurs de l’opéra de Munich. Un véritable affrontement, parce que dans cette oeuvre de sa «dernière manière», Beethoven a réuni toutes les ressources de sa science et de son puissant génie, parvenant à porter l’expression de sa spiritualité au plus haut point de l’expression musicale ; un affrontement, parce que les difficultés de son exécution sont souvent présentées comme insurmontables. Pour le remporter, il faut que les meilleures conditions soient réunies : l’intelligence et la maestria du chef d’orchestre, des instrumentistes de premier ordre, un chœur qui atteigne à la perfection et des solistes hors pair. L’intelligence et la maestria ne suffisent pas encore, il faut y ajouter la vision et y apporter le coeur : Kirill Petrenko a relevé ce défi et l’a remporté haut la main, littéralement à la sueur de son front, et l’audition de ce chef d’oeuvre actuellement joué à Munich est inoubliable !
Beethoven avait pris le temps de la perfection dans l’écriture de l’oeuvre dont il avait commencé la partition en 1818. La première exécution de la Messe en ré n’eut lieu que le 7 mai 1824, au Théâtre de la Porte de Carinthie à Vienne. Schindler, qui avait vu commencer la partition de cette Messe en automne 1818 en a témoigné dans son Histoire de la Vie et de l’Oeuvre de Beethoven. A l’origine, l’oeuvre aurait dû être exécutée à l’occasion du sacre de l’archiduc Rodolphe, frère de l’empereur d’Autriche, François II, qui venait d’être nommé à l’archevêché d’Olmütz. L’archiduc avait bénéficié du rare privilège d’être l’élève de Beethoven. Mais en cours de composition, l’oeuvre prit des proportions qui dépassèrent largement le projet initial et elle ne put être terminée pour la date de celle cérémonie. Beethoven renonça alors à l’écrire pour l’église et l’oeuvre devint une composition lyrique écrite en vue du concert seul. Sa durée, près d’une heure trente, fait qu’elle est le plus souvent jouée en concert.
Si dans le concert munichois d’hier soir, le travail de tous les interprètes et du maestro confinaient à la perfection , c’est au choeur et aux solistes qu’il convient de rendre le plus grand hommage, tant leur partie est rendue particulièrement difficile en raison de leur traitement instrumental. On est subjugué par le chant dont les interprètes ont su rendre tout le pathos ; c’est d’une telle force, d’une telle beauté qu’on est tout étonné d’entendre s’élever les dernières reprises du «Dona nobis pacem» dans le Sanctus, et de se rendre compte que l’exécution va bientôt prendre fin. Après les chants de gloire et les chants de triomphe, après la fugue héroïque, quasi hallucinée de la fin du Credo, le magnifique solo pour quatre voix du Sanctus, la plainte et les supplications de l’Agnus dei, Beethoven nous mène doucement vers l’apaisement final dans le calme d’une phrase qui annonce en la célébrant la paix universelle. Le déchaînement final des cuivres vient mettre hélas un terme à une soirée vécue comme un rêve musical éveillé.
Aux merveilleux solistes les palmes qui leur reviennent pour avoir évité avec brio toutes les embûches dont est hérissée la partition et pour avoir réussi l’indispensable travail d’équipe qu’elle exige tant dans le dialogue à deux ou à quatre voix que dans le dialogue avec les choeurs. Le Sanctus à quatre voix est de toute beauté, suivi par le célèbre solo pour violon du prélude du » Benedictus » brillamment interprété par David Schultheiß. Au mariage des voix de l’incomparable soprano Marlis Petersen et des magnifiques intonations plus sombres d’Okka von der Damerau répond celui de la basse Tareq Nazmi qui rencontre les ardeurs vibrantes du ténor de Benjamin Bruns. Le concours de ces quatre grands artistes est du plus bel effet dans les fugues et les canons.
L’auditoire, transporté et ému, a rendu un vibrant hommage à tous ces merveilleux interprètes et particulièrement aux choeurs, entraînés par Sören Eckhoff,et à ce maître de la précision qu’est le grand Kirill Petrenko qui a su rendre avec une conscience scrupuleuse tous les honneurs à la Missa Solemnis, une oeuvre définitive
Luc Roger