La Belle Helene au Théâtre du Châtelet

La Belle Helene au Théâtre du Châtelet
La Belle Helene au Théâtre du Châtelet. Photo: Marie-Noëlle Robert

Jacques Offenbach devrait être remboursé par la Sécurité Sociale ! Arrêtez de prescrire des anxiolytiques, des antidépresseurs, mais offrez des places pour aller voir un ouvrage de ce compositeur et vous constaterez rapidement une nette amélioration de tous vos maux.

Néanmoins ce n’est pas parce que ses opérettes et opéras-bouffes sont amusants qu’il faut en déduire que sa musique est facile, voire « parimaire ». N’oublions pas que nous avons affaire à un véritable musicien qui commença sa carrière en donnant des récitals de violoncelle. Après être passé par le Conservatoire de Paris il est embauché comme violoncelliste de fosse dans divers théâtres parisiens comme par exemple l’Opéra-Comique. C’est alors qu’il commence à travailler la composition (notamment avec Jacques Fromental Halévy) et verra sa première opérette Pascal Chambord créée en 1839. Devant la difficulté de faire représenter ses œuvres, il décide de s’engager dans la gestion d’un théâtre situé sur les Champs-Elysées : les Bouffes-Parisiens. C’est ainsi qu’il pourra enfin faire représenter Orphée aux Enfers en 1858, qui ouvrira la porte à ses futurs succès tels que La Vie Parisienne, La Grande Duchesse de Gérolstein, La Belle Hélène ou La Périchole, pour ne citer que les plus célèbres.

Le spectacle qui nous est proposé par Giorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin est avant tout visuel et éventuellement lyrique. Même s’il est très bien réalisé, l’œil se fatigue rapidement à regarder simultanément ce qui se passe dans les parties supérieures et inférieures de la scène coupée en 2 dans le sens horizontal. La télé/cinéma en haut, les acteurs/chanteurs en bas. Au bout de quelques minutes on décroche parce que cette gymnastique visuelle nous empêche de nous concentrer sur les voix. C’est d’autant plus regrettable que les idées sont nombreuses, et je dirais même presque trop nombreuses. On peut se permettre beaucoup de fantaisie avec les opéras-bouffes de M. Offenbach mais contrairement au proverbe : abondance de biens peut nuire ! De toutes façons, il ne faut pas oublier que nous parlons d’art lyrique et non pas d’art cinématographique. Malgré ces petits reproches le spectacle fonctionne parfaitement, et à aucun moment l’on éprouve un quelconque ennui au contraire. Il est vrai que les prestations scéniques et vocales de l’ensemble des interprètes sont d’un très haut niveau, à quelques nuances près.

Honneur aux dames, ou plus exactement à la Reine. Gaëlle Arquez est une superbe La Belle Hélène avec, comme il se doit, un physique irréprochable mais également une belle voix. La technique est bonne, le timbre agréable et l’interprétation correcte. Peut-être lui manque-t-il un peu de sensualité, de volupté, de « sex-appeal » surtout dans le très célèbre air de l’acte 2 « …dis moi Vénus… » qu’elle chante avec une sorte de banalité, sur des tempi un peu trop rapides, donc à l’opposé de ce qu’il faudrait. Un grand bravo pour sa prosodie, qui nous permet de comprendre chaque mot de son texte.

Un peu plus de charme en revanche de la part du berger Pâris interprété par le ténor mexicain Jésus Léon. Le timbre est chaud, caressant, sensuel, et le chant aisé. Pas d’émission en force, beaucoup de facilité, et de gros efforts pour prononcer correctement notre belle langue. Le résultat est convenable mais il est vrai que nous sommes beaucoup aidés par le sur titrage afin de suivre l’ensemble du texte.

La Belle Helene au Théâtre du Châtelet
La Belle Helene au Théâtre du Châtelet. Photo: Marie-Noëlle Robert

Que dire en revanche du coréo/américain Kangmin Justin Kim ? Personnellement son interprétation d’Oreste m’a profondément agacée à cause notamment de son outrance. Même si dans l’œuvre il est considéré comme un troublion, un jeune homme ne pensant qu’à faire la fête, ici le trait est un peu trop forcé et parfois vulgaire. Au début il peut amuser mais l’on se fatigue très vite de ses pitreries, d’autant que vocalement il agace aussi. Son timbre acide, haut perché et ses aigus criés sont du plus mauvais effet, à mon humble avis.

Heureusement il y a ceux que je pourrais nommer familièrement « la vieille garde » sans aucune connotation péjorative, composée de Jean-Philippe Lafont, de Marc Barrard et de Gilles Ragon. Ce dernier, dans le rôle du Roi Ménélas, nous réconcilie avec le beau chant français. Sa voix souple et bien conduite nous offre tout le raffinement voulu. Il joue intelligemment, sans jamais exagérer, et fait de son personnage un être attachant : un joli moment.

Marc Barrard retrouve avec bonheur un répertoire plus léger que celui dans lequel on a l’habitude de l’entendre : « Agamemnon n’est pas Golaud » me confiait-il avec humour ! On se délecte de son timbre toujours aussi superbe, velouté, sensuel, et lui aussi fait honneur à ce que le chant français à de plus grand.

J’ai gardé le meilleur pour la fin avec cet incroyable Jean-Philippe Lafont interprétant Calchas, le grand augure de Jupiter. Voilà un chanteur qui traverse les années avec sérénité. Après plus de 40 ans d’une carrière qui l’a conduit à chanter tous les plus grands rôles de baryton sur les scènes du monde entier, il sait encore trouver la juste interprétation et faire de son personnage LA pièce maîtresse de l’œuvre. Il possède totalement cet ouvrage, que ce soit sur le plan scénique aussi bien que vocal. Certes la voix a changé, évoluant désormais vers une tessiture nettement plus haute, mais il lui reste encore quelques superbes graves dont il nous fait profiter notamment dans le trio de la fin du 2ème acte (« …il chancelle… »). Il s’impose scéniquement d’une façon incroyable, dansant et sautant avec une surprenante légèreté. Son jeu est naturel, jamais forcé, et fait mouche à tous les coups (hilarant dans la scène du jeu de l’oie) : du grand Art ! Vous pourrez d’ailleurs le retrouver dans un récital lyrique les samedis 11 et 25 juillet à 20h00 à La Bergerie de l’Aqueduc 28130 HOUX (Réservation au : 02/37/32/44/04).

Formidable interprétation également pour les 2 Ajax (Raphaël Brémard et Franck Lopez) toute en justesse et drôlerie, surtout dans la scène des jeux. Bravo aussi à tous les autres interprètes (solistes et chœur) qui par leur présence scén
ique et vocale ont su contribuer au succès de cet ouvrage.

Enfin un immense merci à celui qui, d’une main de maître, a réussi à conduire à bon port toute cette jolie troupe : j’ai nommé le Maestro Lorenzo Viotti. On dit que le talent n’est pas toujours héréditaire mais dans son cas il l’est et je suis certaine que son père, l’illustre chef d’orchestre Marcello Viotti, serait très fier de son fils. La musique d’Offenbach est loin d’être facile à diriger et il faut être très attentif à l’ensemble des pupitres pour éviter tout dérapage. Sa direction est nette et précise, particulièrement attentive aux solistes comme aux ensembles, et le résultat frôle la perfection.

En conclusion merci à la Direction du Théâtre du Châtelet de nous avoir offert un grand moment de rire et donc de bonheur.

Corinne LE GAC