Il est presque impossible de ne pas chantonner un des airs de « La Grande Duchesse de Gerolstein » en sortant du spectacle que nous propose le Grand Théâtre de GENEVE à l’occasion des fêtes de fin d’année. Qu’il s’agisse du « sabre de mon père » ou « dites-lui » ces airs sont gravés en nous à tout jamais. Quand on pense que le livret avait été censuré à l’époque ! Il est vrai qu’il ridiculise copieusement l’armée, mais n’est-ce pas le but des opérettes et opéras-bouffes de trouver un bouc émissaire et d’exploiter le filon jusqu’au bout ? Pour ce qui est de se moquer, Jacques OFFENBACH ne s’est jamais privé de le faire dans ses œuvres. Que ce soit dans « La Périchole » où il se moque de la jalousie et de la cupidité, en passant par « La Belle Hélène » dans laquelle il dénonce le pouvoir absolu des Dieux, sans oublier « La Vie Parisienne » où il caricature le monde politique et militaire (aussi). Seul son dernier opéra (sérieux) « Les Contes d’Hoffman » échappe aux moqueries (quoi que …) mais pas au cynisme dont fait preuve le personnage principal face à la prise de conscience, et donc la désillusion, que la perfection n’existe pas.
Pour en revenir à cette « Grande Duchesse… » l’ouvrage fut créé le 12 avril 1867 à PARIS et les plus grands personnages de l’époque étaient présents, qu’il s’agisse de NAPOLEON III ou de GUILLAUME 1er, sans oublier le PRINCE DE GALLES et bien d’autres (BISMARK, le Roi du Portugal et celui de SUEDE) qui assisteront plus tard à ce spectacle.
Cette production a le mérite de nous faire rire franchement, sans pour autant tomber dans le ridicule. La marge est très étroite entre ces deux sentiments et les metteurs en scène ont parfois tendance à vouloir forcer le trait ; le résultat est alors à l’opposé de ce qu’il devrait être, plombant souvent le spectacle. Ici ce n’est pas du tout le cas et le metteur en scène Laurent PELLY s’attache surtout à mettre l’accent sur l’absurdité de la guerre et la bêtise de ceux qui la décide. Cette mise en scène est vraiment formidable : elle vaut le déplacement ne serait-ce que pour le final de l’acte 2, le fameux «carillon de ma grand-mère«. Nous avons affaire à une mécanique parfaitement huilée, qui ne laisse certes aucune place à l’improvisation, mais qui nous entraîne dans une folie collective menée par l’ensemble des interprètes, chantant et dansant à la limite de l’état de transe. Le résultat est stupéfiant de réussite et un grand merci à tous les chanteurs pour leur remarquable investissement scénique. Au milieu de cet univers loufoque, émerge le personnage de La Grande Duchesse interprété par Ruxandra DONOSE. Il n’est pas facile d’interpréter cette enfant capricieuse qui a été obligée de grandir, de devenir une femme, qui est à la tête d’un pays par obligation, mais qui ne connait rien de la vie ni de l’amour. La soprano roumaine est fort agréable à regarder et fait de son mieux pour imposer son personnage, à mi-chemin entre femme-fatale et femme-cougar, mais le résultat tombe parfois un peu à plat. Le timbre est joli, la technique correcte, mais il lui manque cet « abattage » qui a fait la renommée des plus grandes (Régine CRESPIN restant inoubliable). Par moment son jeu sonne faux, ou plus exactement on remarque son jeu donc son manque de naturel, d’adéquation au rôle. Elle est plus à l’aise dans l’acte 2, dans le rôle de la séductrice, mais là c’est son manque de précision et de clarté de la langue française qui pose problème : heureusement il y a le surtitrage !
C’est exactement le même reproche que l’on peut adresser à Fabio TRUMPY dans le rôle de FRITZ. La voix est bien celle qu’il faut pour ce personnage, l’interprétation scénique est bonne, mais on ne comprend pas grand-chose à ce qu’il chante et pire à ce qu’il raconte. Or les dialogues ont une importance fondamentale pour saisir toute la subtilité de l’action. N’y-a-t-il pas de jeunes chanteurs français capables de défendre ce type de répertoire ? Messieurs les Directeurs de Théâtre, faites un effort et osez donner leur chance aux jeunes français pour chanter dans leur langue : vous pourriez avoir de très belles surprises !!!
Il est pourtant tellement agréable de pouvoir entendre chanter et parler français correctement, comme c’est le cas avec Bénédicte TAURAN (Wanda), Rodolphe BRIAND (Prince Paul), Jean-Philippe LAFONT (Général Boum) et Boris GRAPPE (Baron Puck). Avec eux au moins pas une parole ne nous échappe et on peut rire aux subtilités de cette belle langue. On obtient alors un équilibre naturel entre prestation scénique et vocale. On est sous le charme de la délicieuse Wanda, parfaite dans son rôle de sympathique paysanne, si légère, si mutine, si fraiche. On admire le Prince Paul dont le beau timbre nous enchante. On rit de bon cœur devant les intrigues menées par le Baron Puck et le Général Boum, toujours à la recherche d’un mauvais tour à jouer, mais échouant sans cesse. Formidable interprétation vocale et surtout scénique de Jean-Philippe LAFONT avec notamment une caractérisation de son personnage oscillant entre Don Quichotte et le Capitaine Haddock, toujours prêt à se lancer dans un combat dont l’ennemi restera virtuel. Incroyable performance physique, surtout lors de ce fameux final de l’acte 2 totalement déjanté et certainement très épuisant.
Bravo également au corps de ballet et à la chorégraphe Laura SCOZZI qui nous entraine dans un tourbillon extraordinairement joyeux, avec un inoubliable intermède précédent le dernier tableau de l’acte 3, irrésistible de drôlerie.
La direction d’orchestre, assurée par Franck VILLARD, est loin d’être idéale. Ce n’est pas parce qu’une musique, en l’occurrence celle d’OFFENBACH, est très rythmée et un brin loufoque qu’elle doit être considérée comme une musique de cirque. Or c’est plutôt ce genre de musique que l’on a entendu (dès l’ouverture avec des vents particulièrement indisciplinés), avec des choix de tempis très discutables mais surtout un grand manque de rigueur musicale. Heureusement les chanteurs ont su se débrouiller seuls, mais au niveau de la phalange suisse les décalages ont été fréquents : dommage !
Hormis ces quelques points négatifs, le spectacle vaut le déplacement et l’on en sort avec le sourire aux lèvres et quelques airs à fredonner.
Corinne LE GAC
Grand Théâtre de GENEVE, Lundi 29 Décembre 2014