Le chef russe Vladimir Jurowsky dirige actuellement pour trois concerts l’Orchestre d’Etat de Bavière, dont il assumera la direction musicale à partir de l’automne 2021, époque à laquelle il prendra la relève de Kirill Petrenko. Avec au programme la Symphonie concertante de Mozart et la troisième symphonie de Bruckner, il s’agit de sa première rencontre avec le public munichois depuis sa désignation. Jurowski avait subjugué Munich dès novembre 2015. Il y avait fait sa grande entrée avec un concert présentant des oeuvres de Liszt, Hindemith et Prokofiev avant d`y diriger son premier opéra , L’Ange de feu de Prokofiev. Et sa prestation actuelle est un enchantement : les fruits de 2020 auront tenu la promesse des fleurs de 2015 et il est d’ores et déjà manifeste qu’aux bonheurs de la direction musicale du grand Kirill Petrenko succéderont les délices de celle de Vladimir Jurowski.
Son approche de la Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre en mi bémol majeur (K. 364) est une révélation tant il y déploie un sens de la nuance, une approche intelligente du souci du détail et de la dynamique rythmique. La précision de la communication gestuelle et la complicité avec l’orchestre produisent les meilleurs effets. Jurowski est totalement attentif à mettre en exergue les qualités des solistes, dans cette symphonie concertante qui donne une voix égale aux altos et aux violons. Le dialogue de la violoniste Isabelle Faust et de l’altiste Antoine Tamestit nous entraîne dans un parcours varié sur la Carte du Tendre, avec ses marivaudages et ses embûches, avec ses tendresses, ses unissons fusionnelles et ses tristesses aussi. La richesse inspirée et les profondeurs sonores très chaleureuses du jeu d’Antoine Tamestit, qu’il a le privilège d’exprimer sur un Stradivarius de 1672, répondent et s’enlacent aux clartés rigoureuses et au lyrisme expressif de la voix du violon d’Isabelle Faust dans une rencontre étonnante, intelligente et complice.
La Symphonie no 3 en ré mineur d’Anton Bruckner, souvent appelée la « Wagner-Sinfonie », fut composée à partir de 1873 et dédiée au Maître Richard Wagner « avec le plus grand respect ». Le compositeur la reverra à plusieurs reprises, notamment en 1876-1877 et en 1888-1889. C’est la révision de 1877 que le Maestro Jurowski a choisi de présenter pour ses concerts munichois, une version dans laquelle Anton Bruckner avait écarté tout une série de références à Tristan et Isolde et à la Walkyrie, mais dont l’harmonie, l’importance accordée aux cuivres, l’élargissement de l’orchestre ou encore la forme du Finale et sa dramatisation sont profondément marqués par l’influence wagnérienne. Le critique Hanslick, qui détestait la musique de Bruckner autant que celle de Wagner, avait assassiné la symphonie lors de la première de la nouvelle version de 1877 en évoquant des intentions poétiques manquant à son sens de clarté, la rapprochant d’une «vision de la neuvième de Beethoven copinant avec les Walkyries de Wagner et finissant par être piétinée sous leurs sabots. «
C’est pourtant la clarté qui caractérise au mieux la direction de Vladimir Jurowski, qui ces derniers mois s’est immergé dans cette symphonie qu’il a donnée à Londres (London Philarmonic, mai 2019) ou à Berlin (Rundfunk Sinfonie Orchester Berlin, décembre 2019) et dont il a assimilé la partition de fond en comble : il l’a littéralement incorporée, ce qui se traduit chez lui, au grand bonheur des instrumentistes, par une gestuelle d’une précision étonnante. Si on a la chance d’être bien placé pour l’observer, il faut être attentif au jeu des mains, à la différenciation des indications données par les doigts, à cette digitalisation du langage musical. On sent une concentration intense, un soin méticuleux, un corps extrêmement maîtrisé, un sens de la mesure et une retenue de bon aloi, le refus de l’effet et de l’éclat au profit d’une mise en évidence de la structure de l’oeuvre, bien utile dans le rendu d’une oeuvre aussi complexe que la troisième symphonie. La musique semble couler par vagues se déplaçant avec fluidité dans les divers corps instrumentaux de l’orchestre. Technicien incomparable, Jurowski rend Bruckner plus lisible grâce à sa clarté d’exécution et à sa définition des détails, qui contribuent à dessiner chacun des moments de l’oeuvre en rendant compte de la spécificité de leurs couleurs particulières.
Vous avez adoré Petrenko ? vous allez aduler Jurowski. Munich a bien de la chance d’enchaîner les excellences !
Le concert est encore donné ce soir au Théâtre national de Munich. Restent quelques places d’écoute.