Le festival Richard Strauss à l’Abbaye d’Ettal: Prokofiev et Strauss

Crédit photographique: Sammy Hart
Crédit photographique: Sammy Hart

Le choix de Prokofiev en première partie d’un concert à l’Abbaye d’Ettal n’a en fait rien de surprenant car le compositeur russe avait choisi de résider pour plusieurs mois en 1922 dans la petite cité alpine, – il avait alors 31 ans. Il arriva à Ettal en compagnie de sa mère convalescente en mars 1922, espérant que le bon air des montagnes bavaroises contribuerait à l’amélioration de sa santé chancelante. Il y loua la villa Christophorus, pensant que son séjour durerait un an. Il se prolongea en fait jusqu’à la fin de 1923. A Ettal il convola en justes noces en octobre 1923 avec la chanteuse Carolina Codina (1897-1989), une jeune chanteuse espagnole qu’il avait rencontrée à New York en 1918 et qui chantait à la scène sous le nom de Lina  LLubera,  le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle. C’est à Ettal qu’il composa l’essentiel de son célèbre opéra L’Ange de feu, qui ne fut pourtant joué qu’après sa mort.

Il se trouve par ailleurs que  Brno et son orchestre philarmonique, invité cette année à se produire au Festival Richard Strauss à l’Abbaye d’Ettal, ont eux aussi des affinités particulières avec le compositeur russe, car le Théâtre Mahen de cette ville connut la première  du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev en 1938 (ce ballet était une commande passée par le Kirov de Leningrad en 1934, mais dont la partition fut rejetée à cause de sa complexité rythmique la rendant «indansable» aux dires des danseurs pétersbourgeois). C’est une des suites pour orchestre tirée du ballet qui était présentée hier soir en début de concert à Ettal, conclusion peut-être logique de  la double et heureuse conjonction de Prokofiev avec les villes d’Ettal et de Brno.

Alexander Liebreich, le directeur du Festival, était au pupitre pour donner un large échantillon de cette œuvres inspirée aux rythmes extrêmement variés et qui commence par l’impressionnante et superbe «Danse des chevaliers», magnifiquement rendue par l’Orchestre de Brno, dont l’entente avec le chef était patente.

Le concerto pour violon opus 63 en sol mineur, le second concerto pour violon écrit par Sergueï Prokofiev, est contemporain de Roméo et Juliette puisqu’il fut composé en 1935. Il s’imposait comme un choix logique tant on y retrouve l’esprit du ballet. L’exécution de cette oeuvre demande un violoniste virtuose, tout trouvé en la délicieuse personne de Lisa Batiashvili, une violoniste spécialiste de Prokofiev dont la virtuosité n’a d’égale que l’exquise sensibilité et que le jeu profondément inspiré, qualités dont les effets se font sentir dès l’entame, une phrase méditative au violon seul, sans accompagnement, prélude à une partie virtuose. Remarquable aussi le dialogue avec la flûte de la seconde partie. Batiashvili se montrera tout aussi magistrale dans les accords violents et explosifs de la troisième partie et trouvera encore la force de donner aux applaudissements un encore où elle déploiera toutes les facettes de son excellence.

En seconde partie, Alexander Liebreich dirige avec la générosité attentive qui le caractérise le poème symphonique Also Sprach Zarathustra inspiré du poème philosophique éponyme de Nietzsche. Une oeuvre chérie du public straussien qui met en scène Zarathoustra, le surhomme antéchrist dans une abbaye! Il faut toute la tolérance des moines bénédictins, un ordre plus spirituel que dogmatique, pour accepter que cette musique soit jouée sur leur parvis. Le jeune Strauss (il n’a encore que 22 ans au moment de la composition de cette oeuvre magistrale) citait Nietzscheen exergue de sa partition:

« La musique a trop longtemps rêvé ; nous voulons maintenant nous réveiller. Nous étions des somnambules ; nous voulons devenir des rêveurs éveillés et conscients. »

En donnant Also Sprach Zarathustra dirigé avec des soins quasi maternels sous le ciel étoilé de l’Abbaye d’Ettal, Alexander Liebreich nous invitait hier soir à une évasion spatiale éthérée, odysséenne, est-il besoin de le souligner? La musique des sphères à Ettal, un magnifique hommage au grand compositeur dans ce cadre de montagnes qui lui tenait tant à coeur!

Luc Roger