Le Münchner Rundfunk Orchester ressuscite la Proserpine de Saint-Saëns

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Proserpine de Saint-Saëns. Photo: Luc Roger
Proserpine de Saint-Saëns. Photo: Luc Roger

Le public munichois a eu l’ occasion d’ assister hier soir à la résurrection musicale de l’ opéra Proserpine de Camille  Saint-Saëns, un concert dû à l´étroite collaboration entre le Palazzetto Bru Zane, Ulf Schirmer et le Münchner Rundfunk Orchester. LePalazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française a pour vocation de favoriser la redécouverte du patrimoine musical français du grand XIXe siècle (1780-1920), en lui assurant le rayonnement qu’il mérite et qui lui fait encore défaut. Il consacre actuellement  un cycle à  Saint-Saëns, «artiste éclectique et imprévisible», avec, notamment, la résurrection de nombreuses pages lyriques (mélodies avec piano ou orchestre, Proserpine, Le Timbre d’argent). Pour sa part, Ulf Schirmer, le directeur artistique du Münchner Rundfunk Orchester, nous a ces dernières années fait découvrir un répertoire d´opéras peu ou pas connus du grand public, comme, en début d’année 2016, le Dante de Benjamin Godard, lui aussi redécouvert par les spécialistes du Palazzetto Bru Zane, ou en 2015, fuit d’une même collaboration,  le Cinq-Mars deGounod. Hier au Prinzregententheater, demain à l’Opéra royal de Versailles, puis en podcast sur BR Klassik et bientôt en CD, on a pu ou on pourra entendre la deuxième version de Proserpine, celle de 1891, une version édulcorée par rapport à la première quant au livret, et où Saint-Saens a notamment ajouté un morceau de bravoure au troisième acte pour la soliste qui chante Proserprine. 

L’opéra ne reçut ni  lors de la création en 1887 ni lors de la reprise en 89 l’accueil que Saint-Saens en attendait. Tantôt, son opéra relevait d’ un art trop symphonique, tantôt le livret était jugé d’ un romantisme dépassé.  L’oeuvre suscita de telles polémiques dès 1887 que Saint-Saens trouva bon de publier une lettre dans le Ménestrel du 17 avril 1887 dans le but d’ y couper court, en voici un extrait:

Ma théorie, en matière de théâtre, est celle-ci : je crois que le drame s’achemine vers une synthèse de différents styles, le chant, la déclamation, la symphonie réunis dans un équilibre permettant au créateur l’emploi de toutes les ressources de l’art, à l’auditeur la satisfaction de tous ses légitimes appétits. C’est cet équilibre que je cherche, et que d’autres trouveront certainement. Ma nature et ma raison me poussent également à cette recherche, et je ne saurais m’y soustraire. C’est pour cela que je suis renié tantôt par les wagnéristes, qui méprisent le style mélodique et l’art du chant, tantôt par les réactionnaires, qui s’y cramponnent au contraire et considèrent la déclamation et la symphonie comme accessoires. 

Aujourd’ hui les difficultés d’ interprétation et les exigences du rôle de Proserpine sont restées les mêmes que lors de sa création. Le rôle demande que la cantatrice se mette dans la peau d’« une femme étrange et mystérieuse », mais qui ne doit pas paraître trop repoussante ou énigmatique, une femme passionnée et incandescente que la férocité de sa haine jalouse et sa noirceur finissent par damner. Le rôle est écrit pour une voix puissante et sombre, un soprano Falcon avec des graves étendus et sonores. C’est àVéronique Gens que le rôle a été confié, et qu’on attendait avec plaisir de retrouver à Munich, après le Dante de janvier dernier et leCinq-Mars de 2015. Cependant, hier soir, la chanteuse est apparue extrêmement tendue et nerveuse, plutôt absente que concentrée sur la musique lorsque elle n’avait pas à chanter. Elle n’ a pu donner qu’une Proserpine sans corps et sans âme, le front soucieux les mains nerveuses, sans incorporer la théâtralité du rôle, une interprétation très linéaire. Si son cantabile du troisième acte, qui devrait être chanté comme un morceau de bravoure, est resté sans grand relief, elle s’est reprise au dernier acte où elle participe avec plus d´éclat et de tempérament  aux contrastes du grand trio avec  sa rivale Angiola et Sabatino, l’ homme que Proserpine imagine aimer. L’Angiola de Marie-Adeline Henry est par contre la révélation de la soirée. La jeune soprano bordelaise s’ est imposée en force par une grande présence dramatique sur le plateau et une superbe projection de voix ainsi que de la puissance et de belles facilités dans l’aigu. C’ est une des curiosités et un des ravissements du livret que ce personnage que son frère vient cueillir au couvent, que cette «demeure chaste et pure» puisse affronter avec une telle force la courtisane rompue à la manipulation des hommes et possédée par les démons déments et meurtriers de la jalousie. Marie-Adeleine Henry s’ est imposée d’ autant plus facilement que Véronique Gens n’ était que l’ombre d’ elle-même. Clémence Tilquin, qui joue les trois petits rôles d’ une jeune fille, d’une novice et d’une nonne, séduit pareillement par sa fraîcheur éclatante et sonore. Avec son ténor chaleureux, Frédéric Antoum tient davantage du jeune premier que de l’adulte dissipé mais repenti alors qu’ au contraire Jean Teitgen semble vieillir le personnage de Renzo, qui n’est pourtant que le frère aîné d’ Angiola, d’ une basse qui paraît manquer d’audace dans l’ interprétation. Le baryton-basse Andrew Foster-Williams donne une interprétation réussie d’un Squarocca roublard et à la malhonnêteté patentée, avec une belle composition théâtrale que, même si on est en version concertante, on eût aimé voir dans la composition du personnage de Proserpine. Les choeurs par 24 de la radio flamande (Vlaams Radio Koor), les femmes à gauche et les hommes à droite de la scène, rendent admirablement les différentes atmosphères sonores: les nonnes du deuxième acte avec son prélude solaire et son Ave Maria à trois voix nous introduisent dans un monde angélique aux nuages auréolés de lumières tout en contraste avec les jouissances sensuelles et corrompues du premier acte, et avec leur répondant masculin du choeur des pèlerins de la quatrième scène, très réussi lui aussi; les choeurs des gitans du trosième acte dont le chant converge vers une tarentelle participe de la même réussite.

Un des plus grands bonheurs de la soirée réside dans l’ excellence du Münchner Rundfunk Orchester qui parvient à donner vie et corps à cet opéra qu’il n’a pourtant découvert que peu de temps avant le jouer pour le public. Ulf Schirmer et son orchestre nous font voyager dans les délices de cette terra incognita en démêlant pour nous la douzaine de motifs qui  composent cette oeuvre tout à la fois charmante et passionnée, de cet opéra pétri d’art symphonique dont Gounod avait souligné les qualités intrinsèques dans un article publié dans le quotidien La France en mars 1887. Gounod avait signalé l’abondance de « détails du p
lus vif intérêt sous le rapport de l’expression des caractères et de la justesse de l’intention dramatique » en insistant sur ses qualités de symphoniste, qu’une part du public français jugeait incompatibles avec la composition lyrique : « Son intelligence des ressources de l’orchestre lui en suggère, je dirais plus encore, lui en impose l’emploi continuel comme relief de coloris ou d’expression dans la peinture des sentiments ou des caractères. Mais s’il suit pas à pas, et avec une scrupuleuse fidélité, les méandres les plus subtils du drame, il le fait avec un souci constant de la valeur propre et intrinsèque de l’idée et de la forme musicale et ne jette pas la musique en pâture au drame : partout et toujours il reste un musicien. » Que la musique ne le cède jamais au drame, c’ est ce qu’Ulf Schirmer et le Münchner Rundfunk Orchester nous communiquent admirablement, respectant le voeu de Saint-Saens qui écrivait: «De quelle façon qu’elle soit faite, avant tout, la musique doit pouvoir être écoutée musicalement, sans quoi elle ne serait pas de la musique. » C’est particulièrement remarquable dans la longue ouverture du quatrième acte.

Pour découvrir le travail du Palazzetto Bru Zane (source des citations reprises ci-dessus), visiter son site.

Pour suivre les activités du Münchner Rundfunk Orchester, visiter son site.
Pour écouter ou réécouter l´opéra sur BR-Klassikcliquer ici.

Luc Roger

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