Le nozze à l´Opéra de Vienne dans la mise en scène culte de Jean-Louis Martinoty

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Le nozze à l´Opéra de Vienne dans la mise en scène culte de Jean-Louis Martinoty
Le nozze à l´Opéra de Vienne dans la mise en scène culte de Jean-Louis Martinoty

La mise en scène des Noces de Figaro de feu Jean-Louis Martinoty a été montée pour la première fois à Paris au Théâtre des Champs-Elysées en octobre 2001 avec René Jacobs à la direction d´orchestre. Dix ans plus tard, en octobre 2011, cette même production a été reprise à Vienne avec Franz Welser-Möst au pupitre. C´est elle que nous avons l´occasion de voir cette année sous la direction du jeune et talentueuxCornelius Meistre. Elle sera encore reprise au Staatsoper de Vienne en 2017.

Les Noces de Martinoty sont aujourd´hui reconnues comme une des mises en scène repères de l´oeuvre de Mozart et sont devenues un spectacle culte, une des productions les plus renommées du metteur en scène récemment décédé, et qui constituent un de ses legs majeurs à l´histoire du théâtre d´opéra. Aujourd´hui on évoque et on étudie les Noces de Martinoty comme on le fait pour celles de Ponnelle ou de Strehler.

Martinoty est venu à l´opéra par Les Noces, un opéra dont il avait reçu les disques, dans la version de Karl Böhm, alors qu´il n´était âgé que de 15 ans et qu´il a quasi entendu en bouche pendant les trois années qui suivirent. Plus tard il rencontra Jean-Pierre Ponnelle à Munich et, après ce premier contact fructueux, le retrouva pour commencer sa carrière, comme assistant,  précisément pour une production des Noces de Figaro que dirigea Karajan. Martinoty retrouvera encore les Noces pour l´écriture d´un film tourné avec Karl Böhm. Enfin, il les monte lui-même en 2001 au Théâtre des Champs-Elysées. L´histoire du grand amour d´une vie en quelque sorte.

La longue familiarité de Jean-Louis Martinoty avec l´oeuvre lui en a permis d´en découvrir la substantifique moelle, il en connaît les moindres détails et les exploite à bon escient, en se mettant tout entier au service de l´oeuvre et sans jamais essayer d´en détourner le propos. Sa modernité ne vient pas d´inventions farfelues, -point n´est besoin d´inventer des solutions incongrues-, mais de son don de pénétration des structures du livret, qu´il ne s´agit pas de réduire mais d´exposer et de mettre en lumière dans leur complexité. Pour ce faire, il se livre à une lecture de l´oeuvre comme on s´attache à la résolution d´un rébus. Où dans le château se situe la chambre destinée au couple Figaro- Suzanne, et par quelles portes y pénètre-t-on ? Qui en détient les clés et comment se ferment ces portes? Les décors de Hans Schavernoch matérialisent les subtilités et les secrets du livret. Deux encadrements en guingois inversé sont reliés par un plateau distordu par leurs positionnements. Quatre portes s´ouvrent dans les coins inférieurs des cadres, deux à l´avant du plateau, deux à l´arrière. Le jeu des entrées et des sorties y est toujours porteur de signification. Les personnages y évoluent en progression incertaine vu la distorsion du plateau, ce qui correspond métaphoriquement à leur vécu intérieur. Tous sont porteurs de secrets qu´ils ne dévoilent même pas à leurs plus proches. Même les fiancés, Figaro et Susanna, ont des secrets l´un pour l´autre et trouvent de bonnes raisons pour les garder. Les travestissements et les changements d´apparence et de fonctions sont constants. Les personnages modifient leurs apparences comme ils travestissent leurs pensées, évoluant entre dénégations et dissimulations. Ils portent l´art du mensonge à un degré de raffinement rare, d´autant qu´ils s´y sont eux-mêmes enfermés («sono in trappola»). Il s´agit souvent de faire preuve d´inventivité et d´imaginer rapidement un nouveau mensonge pour parer à la découverte d´une supercherie, comme au moment où Figaro explique pourquoi il est en possession de l´ordre de marche de Cherubino,  faisant rapidement la trouvaille du cachet manquant! 

A ces éléments vient s´ajouter le cadre politique de la perte de puissance de la noblesse, un cadre dont Martinoty expose les subtilités. Si la pièce est proche de la révolution française, cette dernière ne s´est pas encore produite. Le Comte perd de ses pouvoirs mais ne perd pas tout son pouvoir. Et si le pouvoir bascule c´est souvent pour passer aux mains des femmes. Dans lecture du metteur en scène, c´est la Comtesse qui devient le personnage principal. Les femmes acquièrent une partie au moins d´un pouvoir qui ne leur était pas jusqu´ici dévolu. Elles en ont conscience et se montrent solidaires de leur sexe.

Les décors font appel à la peinture. Des tableaux descendent des cintres et viennent s´installer entre les encadrements, leur disposition crée les espaces de circulation. On connaît le goût de Jean-Louis Martinoty pour la peinture, lui qui a si souvent fait appel à des peintres renommés pour la création de ses décors. Les costumes de Sylvie de Segonzac et les tableaux reconstituent la vie dans un château de la fin du 18e siècle. Ici un tableau représente un cabinet de curiosités, et un marchand vient présenter une collection de papillons et une tortue empaillée au Comte. Là un tableau met le décor en abyme. Alors que la scène est elle-même un tableau, avec le double cadre, le tableau représente un intérieur noble avec ses multiples tableaux accrochés aux parois. Plus tard, pour la scène du rendez-vous galant dans le parc, une série de toiles représentent des bouquets ou des champs de fleurs. Les toiles sont transparentes et permettent de voir les personnages y évoluer comme s´ils étaient dans des bosquets fleuris.

Une mise en scène si élaborée nécessite un plateau de choix. Les options scéniques de Martinoty exigent une grande comtesse, toute trouvée en la personne de Rachel Willis-Sørensen, une jeune chanteuse qui a remporté le prix Operalia en 2014 et s´est déjà  imposée dans le rôle tant au Met qu´à Covent Garden. Elle en donne ici une interprétation grandiose, avec un vibrato somptueux, une grande facilité dans le registre aigu et une belle profondeur de voix. Elle déploie avec un raffinement d´expression subtil toute la palette émotionnelle du personnage et s´impose tout au long de l´opéra comme la reine de la soirée. Le public ne s´y trompe pas qui lui témoigne son admiration par des applaudissements des plus nourris. Le Comte est brillamment interprété par le baryton-basse Luca Pisaroni, très applaudi l´été dernier à Salzbourg dans le même rôle. Pisaroni utilise son charme et son aisance naturels pour camper le donjuanisme d´un homme cependant profondément attaché à son épouse. Le chanteur, dont le phrasé et la diction sont impeccables, relève avec brio les défis dramatiques des deuxième et troisième actes. Face à cette excellence, la Susanna de Valentina Naforniţa et surtout le Figaro du jeune baryton Alessio Arduini paraissent parfois en retrait. On s´attendrait à beaucoup plus d´allant dans l´interprétation de Figaro. La voix d´Alessio Arduini manque singulièrement de l´éclat et de la brillance que suppose le rôle. C´est peut-être par effet d´entrainement que Valentina Naforniţa, qui fait ses débuts dans le rôle à Vienne, semble quelque peu peiner à trouver ses marques au premier acte. Elle prendra de l´assurance et finira par donner un troisième acte glorieux, avec une présence affirmée, sinon triomphante, et un vibrato ravissant, une voix avec beaucoup de richesse et de nuance dans le medium et cristalline dans l´aigu et de belles qualités dramatiques. Sorin Coliban donne un Bartolo remarquable de puissance tant vocale que scénique. Enfin, last but not least, on est totalement séduit par le Cherubino vif-argent de  Marianne Crebassa, fraîche, jeune et follette dans le «Non so piu cosa son», elle se surpasse encore, et fait un triomphe,  dans le «Voi che sapete che cosa è amor». Son jeu théâtral est délicieusement hilarant dans le double travestissement d´une jeune chanteuse chantant un jeune Don Juan qui est contraint de se travestir en fille.

L´Opéra de Vienne a fait le pari réussi d´un plateau de jeunes artistes, parmi les plus prometteurs de leur génération. Avec des artistes de l´envergure de Rachel Willis-Sørensen, Luca Pisaroni, Marianne Crebassa ou Valentina Naforniţa, avec la direction d´orchestre aussi animée que brillante de Cornelius Meistre, la relève est plus qu´assurée et la mise en scène magistrale du regretté Jean-Louis Martinoty a  encore de belles années devant elle.

Prochaines représentations 

La production est reprise avec d´autres interprètes en octobre 2016 et avril-mai 2017 à l´Opéra de Vienne. Voir le site de l´opéra.

 Luc Roger

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