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Après plus de 40 ans d’une carrière internationale, le baryton Jean-Philippe Lafont a été contraint brutalement de mettre un terme à celle-ci en septembre 2016 en raison d’une chute qui aurait pu être dramatique (il a dévalé 18 marches) au cours d’une répétition à l’Opéra de Paris.
Malgré une période particulièrement pénible aussi bien physiquement que psychologiquement, mais n’étant pas du genre à se laisser abattre il réussit à « se remettre sur pieds ». Puis le hasard frappa à sa porte en lui faisant rencontrer un personnage qui allait connaître le destin que nous savons. Il fut mis en relation avec Emmanuel Macron, qui faisait à l’époque campagne pour les élections présidentielles et souhaitait mettre tous les atouts de son côté. Etant conscient qu’il lui était nécessaire de mieux s’exprimer, il fit appel à Jean-Philippe Lafont pour quelques cours de diction, d’articulation, mais aussi de maîtrise dans son expression aussi bien orale que physique.
C’est ainsi que la seconde carrière de notre baryton fut lancée : coach vocal et comportemental
(Site : JPHL Consultant).
Ce parcours est retracé dans son livre « Avec voix et éloquence » et c’est à l’occasion d’une séance de dédicaces au théâtre du Capitole de Toulouse qu’il a bien voulu répondre à quelques questions et je l’en remercie.
Un grand merci au Directeur du Capitole Christophe Ghristi d’être à l’initiative de ce moment particulièrement agréable.
Corinne LE GAC :Comment se passent vos journées ?
Jean-Philippe LAFONT : Mes journées se passent entre le Conservatoire de Chartres où le Maire et le Directeur du Conservatoire m’ont demandé de donner quelques cours de chant à des amateurs, deux fois 5 heures le lundi et le vendredi. Au début je n’avais pas trop envie mais je me suis dit « pourquoi ne pas faire plaisir à des gens dont c’est la passion » et j’ai accepté. Je ne le regrette pas parce que ce sont des personnes passionnées, des amoureux de la musique et de la voix, et bien qu’étant des amateurs, certains progressent de façon spectaculaire.
Ensuite, j’étais dans une agence artistique que je viens de lâcher parce que je n’avais pas du tout la même vision que la directrice. J’étais chargé de la partie artistique et je pense bien connaître le métier, sans pour autant dire que cette personne ne le connaissait pas, mais nous avions une vision trop différente et même opposée. Donc cela a duré 6 mois ce qui me libère maintenant du temps pour mes coachings vocaux, pour faire travailler des gens qui ont envie d’améliorer leur oral (ou leurs oraux). Je vais d’ailleurs prochainement faire travailler la Ministre du Travail : faire travailler la Ministre du Travail c’est amusant non ?
Plus sérieusement, je suis en train de mettre en place une dynamique avec le Parlement Européen pour créer une Agence Européenne de la Voix qui traiterait du chant et du parler. Il y aurait une agence artistique traditionnelle mais aussi une pépinière, un réservoir de jeunes chanteurs qui seraient prêts à débuter sur les différentes scènes artistiques. Il y aurait aussi une cellule de coachings vocaux pour les chefs d’entreprises, les journalistes, les politiques, bref toutes les personnes qui doivent s’exprimer en public et souhaitent mieux parler….et ils sont nombreux !
Donc j’ai beaucoup de choses à penser, à réfléchir, et cela me permet véritablement d’asseoir une nouvelle formule de vie.
C.L. :Ce livre a-t-il changé votre vie ?
JPh L. : Oui ! Oui parce que d’abord je l’ai écrit alors que je n’étais pas fait pour l’écrire. Ma femme Martine me demandait depuis longtemps de le faire mais je lui répondais « qui va lire un livre écrit par moi ? ». Je prenais comme exemple Roberto Alagna qui en a écrit un mais Roberto est un ténor qui est en première ligne, en pleine actualité. Il bénéficie d’une couverture médiatique que je n’ai jamais eu, et encore moins maintenant que je suis rangé non pas des voitures mais des scènes. Donc écrire un livre me paraissait très improbable mais évidemment M. Macron a tout dynamisé parce que si je ne rencontre pas M. Macron, je ne fais pas le livre : c’est évident ! Il a été le déclencheur et j’ai vu que cela marchait bien. J’ai d’ailleurs fait travailler d’autres personnes à la même période, et j’en avais déjà fait travailler avant lui. Cela fonctionnait très bien, elles sentaient qu’elles faisaient de gros progrès, elles étaient heureuses des résultats. Je voyais que ces gens se sentaient transformés, libérés d’un poids, d’une trop grande introspection. Il y avait un engagement total de leur part et je crois que j’ai trouvé un vecteur très porteur.
Je n’abandonne pas le chant pour autant ; je vais d’ailleurs prochainement faire « L’enfance du christ » de Berlioz à Lisbonne en version concertante. Le rôle d’Hérode est un très beau rôle, sans grandes difficultés mais il faut un beau médium.
Je donne également des conférences ; je viens d’en faire 3 en 3 jours : une à Orléans, une autre à Rambouillet et la dernière à Paris. Elles s’adressaient à des chefs d’entreprises, des ingénieurs, mais aussi à des gens simplement intéressés par la venue d’un dialogueur. Ce sont des personnes qui ne sont pas spécialement axées sur la culture, il y a une majorité de personnes âgées qui veulent simplement se cultiver, découvrir des domaines qu’ils ne connaissent pas. Ils sont entre 120 et 150 personnes et fréquentent régulièrement toutes sortes de conférences quel que soit le sujet.
C.L. : Les méthodes d’enseignement actuelles sont-elles bien adaptées aux élèves ainsi qu’aux exigences scéniques ? Y-a-t-il une réelle adéquation entre la théorie et la pratique ?
JPh L. : NON ! Attention : il y a des gens, des jeunes, qui sont très bien mais je n’entends pas de grands bouleversements dans la compréhension des mots, dans leur intérêt, dans la façon de les servir pour s’en servir d’une manière pertinente. Par exemple, je n’entends jamais un jeune me dire « mon professeur me fait parler le texte avant de le chanter » ! D’ailleurs lorsque je fais travailler des élèves, je leur demande d’abord de me lire le texte ; ils me regardent étonnés, ils le font parce que je le leur demande mais ils se demandent à quoi ça sert : c’est pourtant la base du « mieux chanter » !!! Si vous prenez l’exemple de « vision fugitive…. » : rien que sur ces 2 mots vous pouvez/devez vous interroger. Pourquoi « fugitive », qu’elle est cette « vision » et pourquoi est-elle « fugitive » ? Quelle est la bonne façon de les prononcer, dois-je m’arrêter un peu ou
pas avant de les prononcer, dois-je enchaîner, quel rythme dois-je donner à ces mots ?….. Tout un questionnement qui n’est pas du tout enseigné dans les écoles ou les conservatoires parce que ce qui compte avant tout c’est la beauté de la voix. Peu importe de quelle façon on va pouvoir exprimer des sentiments à travers elle. Alors qu’à mon humble avis, le plus difficile est justement de trouver un équilibre entre la voix, les sentiments exprimés et le jeu scénique.
C.L. : Quel avenir pour le chant français ? Etes-vous optimiste ou pas ?
JPh L. :Oui je suis assez optimiste, malgré ce que je viens de dire à l’instant. Il y a en ce moment quelques jeunes qui sont dignes d’un grand intérêt. Il faut bien évidemment rester très prudent avant de leur prédire une immense carrière, mais il est aussi très important pour eux d’aller jusqu’au bout de leurs possibilités parce que finalement dans un ouvrage il n’y a pas que des premiers rôles. Il y a de la place pour tout type de voix et il faut avant tout former des gens qui pourront vivre de leur art, qui auront le plaisir d’être sur une scène et pas nécessairement dans un très grand rôle. Sans faire de nombrilisme (ce n’est pas mon genre) mais lorsque j’ai accepté le rôle du sacristain dans « Tosca » en septembre 2016 à l’Opéra de Paris, je ne me suis pas posé de questions. Chanter le sacristain alors que j’avais plusieurs fois interprété le rôle de Scarpia ne m’a posé aucun problème ! J’avais tout simplement (à 65 ans à l’époque) envie de chanter un rôle que je n’avais jamais chanté : juste pour le plaisir ! Il faut également savoir faire preuve d’humilité pour mieux servir cet art.
C.L. : Vous abordez quelques pistes au chapitre 8 de votre livre (sélection plus stricte des élèves dans les conservatoires, examens pour les professeurs…). Est-il concrètement possible de les mettre en place ?
JPh L. :Le ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterand, m’avait demandé de faire un rapport sur les conservatoires nationaux et régionaux. Je l’ai fait mais je pense qu’il ne l’a jamais lu et que mon rapport a gagné directement soit un tiroir soit la poubelle !
Il faut dire que j’étais un peu sévère et il y avait peu de directeurs de conservatoires qui avaient trouvé grâce à mes oreilles. Malheureusement les pistes que je propose ne sont – et ne seront certainement – jamais mises en application pour diverses raisons. On va traiter les problèmes au cas par cas mais surement pas abonder dans mon sens en les généralisant. Les gens parlent beaucoup mais rien ne se fait ! Par exemple j’avais suggéré au Maire de Chartres la création d’un pôle supérieur au Conservatoire ; il semblait très intéressé mais un mois après il a abandonné cette idée pour diverses raisons (financières ou autres…..).
Pour l’instant Vivendi est très intéressé par mon idée d’Agence Européenne de la Voix, mais il faudrait aussi d’autres Vivendi pour monter ce projet. Avec tous les ressorts auxquels je pense, il faudrait trouver 1 million d’euros donc…. Mais peut-être faut-il s’adresser à Bill Gates, qui sait ?
Plus sérieusement, franchement en France l’avenir de la musique classique ou du lyrique au plus haut niveau ça n’intéresse personne ! Il n’y a pas hélas une véritable volonté politique pour améliorer ce qui devrait l’être. Tout fonctionne au coup par coup, sans véritable ambition générale.
C.L. : Quels sont vos projets ?
JPh L. :Comme je l’évoquais précédemment, cette Agence Européenne de la Voix me tient vraiment à cœur parce que j’estime qu’il y a un réel manque en la matière.
J’assure donc mes coachings vocaux et mes cours au Conservatoire de Chartres. Il y a aussi un théâtre qui me propose le rôle de Falstaff de Verdi, mais ce ne pourrait être qu’en version de concert parce que je ne suis plus en capacité physique d’assurer une représentation scénique et quant à retarder mes collègues pour cette raison ce n’est absolument pas envisageable.
Corinne LE GAC
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