Lucia di Lammermoor à l’Opéra Grand Avignon

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Lucia di Lammermoor à l’Opéra Grand Avignon
Lucia di Lammermoor à l’Opéra Grand Avignon. Photo: Cedric Delestrade – ACM STUDIO

Rien ne prédestinait Gaetano Donizetti, à la carrière de musicien que l’on sait. Né dans une famille pauvre, son père songeait pour lui au barreau. La chance fut heureusement à ses côtés en lui permettant de rencontrer un ancien compositeur, devenu maître de chapelle à la Basilique de Bergame : Simon Mayr. Ce dernier donnait des leçons à tous les enfants de la région et c’est sous sa protection que Donizetti travailla la musique pendant 9 années : il était alors âgé de 8 ans. Il poursuivi ensuite ses études au Lycée Philharmonique de Bologne avec notamment pour professeur Stanislao Mattei qui fut également le Maître de Rossini. C’est à partir de 1816 qu’il commença à écrire des opéras ; le premier fut Le Pygmalion qui ne sera représenté qu’en…1960 ! De retour dans sa ville natale de Bergame, sa véritable carrière de compositeur d’opéras ne débutera réellement qu’en 1818 avec la création à Venise de son œuvre Enrico di Borgogna. A partir de cette date les ouvrages vont s’enchaîner et il sera un compositeur prolifique avec près de 71 opéras. Parmi ses plus grands succès, passés à la postérité, comment ne pas citer entre autre : Anna Bolena (qui fut son premier grand triomphe en 1830 à Milan mais aussi à Paris, Londres, Madrid…), suivit deux ans plus tard par l’Elixir d’Amour et de Lucia di Lammermoor créé au San Carlo de Naples et (dit-on) composé en seulement six semaines entre mai et juillet 1835.

Il s’agit d’un opéra séria en trois actes, sur un livret en italien de Cammarano, inspiré du roman de Walter Scott La Fiancée de Lammermoor. Cette histoire tragique n’est pas sans rappeler celle de Roméo et Juliette, puisqu’il s’agit ici également des amours contrariés de deux jeunes gens (Lucia et Edgardo) dont les familles s’opposent et se déchirent (les Ashton et les Ravenswood). L’héroïne en sera la première victime, avant de basculer dans une folie meurtrière dont l’air qui l’illustre sera le cheval de bataille des plus grandes soprani.

Intensité : tel est le mot qui résumerait parfaitement la représentation de ce dimanche 24 Mai 2016 à l’Opéra d’Avignon. Intensité du chant, intensité de la musique, intensité des sentiments. A chaque fois que l’on entend cet ouvrage on a l’impression de le redécouvrir, surtout lorsque les interprètes sont d’un tel niveau d’excellence. Qu’il s’agisse des rôles ayant moins à chanter ou des principaux solistes, tous ont été d’une tenue irréprochable rendant ce spectacle digne des plus grandes scènes du monde. Rien n’a été laissé au hasard : la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est très sobre mais suit parfaitement le livret, ce qui est assez rare de nos jours pour être souligné. Les décors (Jacques Gabel) et accessoires sont peu nombreux (quelques chaises, un canapé, une estrade) mais permettent ainsi de laisser travailler l’imagination. Chacun peut y concevoir son propre univers en fonction de sa sensibilité. Les costumes de Katia Duflot sont comme toujours absolument magnifiques, permettant aux chanteurs de s’y sentir tout à fait à l’aise.

Sur le plan musical et vocal nous frôlons la perfection. Le Maestro Roberto Rizzi-Brignoli ciselle cette partition avec grand art. Il est tout entier au service de la musique et propose des choix de tempi particulièrement judicieux. Comment ne pas frémir lorsque le chœur accompagne la descente aux enfers de Lucia à l’acte 3 ? Même la fête donnée à l’occasion du mariage est toute en retenue, comme pour anticiper le drame. Son attention du plateau est exemplaire, et il doit être agréable pour un chanteur d’être accompagné ainsi.

Vocalement quel bonheur d’entendre un ouvrage aussi bien interprété, sans oublier que sur les sept chanteurs principaux cinq sont français. Merci à l’Opéra d’Avignon de donner leur chance à des artistes jeunes, dont les noms ne font pas la une de tous les magazines spécialisés mais qui croient en ce qu’ils font et nous communiquent leur passion.

Marie Karall est parfaite dans le rôle d’Alisa, la dame de compagnie de Lucia, et il est tout à fait dommage de ne pas lui donner de rôles plus importants (elle doit être notamment une superbe Malika dans Les Pêcheurs de Perles). Son timbre est somptueux avec une projection parfaite et une technique très correcte. Belles prestations également pour le Raimondo de Ugo Guagliardo, Arturo de Julien Dran et Normanno d’Alain Gabriel.

Lucia di Lammermoor à l’Opéra Grand Avignon. Photo: Cedric Delestrade – ACM STUDIO
Lucia di Lammermoor à l’Opéra Grand Avignon. Photo: Cedric Delestrade – ACM STUDIO

Le summum est atteint avec le trio de solistes. Une incroyable Zuzana Markovà divine physiquement et parfaite vocalement. Tout y est : l’agilité dans les trilles, le timbre magnifique, la sensibilité, la fragilité, l’émotion. Elle nous entraîne dans son univers dramatique où l’espoir n’a pas sa place. Dès le début de l’ouvrage on pressent le drame, et même son superbe duo d’amour de l’acte 1 ne suffit pas à lever cette angoisse permanente dans laquelle elle évolue. Sans cesse partagée entre son amour sincère pour Edgardo et la pression que lui fait subir son frère Enrico. Le déclencheur sera son mariage forcé qui entrainera l’assassinat de son époux et sa perte définitive de la raison. Son air de la folie a été un sommet d’émotion et de perfection vocale dont on se souviendra longtemps. L’amour de sa vie (Edgardo) est magnifiquement interprété par Jean-François Borras. Voici un nom à retenir et d’ailleurs le Métropolitan Opera de New York ne s’y est pas trompé puisque c’est à lui qu’on a fait appel pour remplacer Jonas Kaufmann dans Werther. Le timbre est agréable, la diction parfaite et la technique vocale excellente. Il passe avec beaucoup de facilité d’un chant très engagé, lors des affrontements avec Enrico le frère de Lucia, à un chant tout en douceur dans les duos d’amour. Dans le rôle du « méchant de service » on découvre le jeune baryton Florian Sempey qui commence à faire parler de lui. Dès son entrée en scène, on est saisi par sa forte personnalité. Il ne joue pas un personnage, il est ce personnage
. Impression confirmée lorsqu’il commence à chanter. Son timbre grave et sonore est vraiment impressionnant pour un homme aussi jeune (il n’a pas encore 30 ans). Il s’impose instantanément par une grande facilité vocale, une technique parfaitement maîtrisée, une diction/prononciation remarquable. Sa voix souple lui permet une étendue de registre tout à fait exceptionnelle, et il passe des sons les plus graves aux aigus les plus insolents avec une grande facilité. Rien ne semble lui poser problème, qu’il s’agisse du chant comme du jeu d’acteur. Est-il un acteur qui chante ou un chanteur qui joue ? Difficile de répondre puisqu’il est excellent dans les deux facettes de ce métier. Quel bonheur d’entendre de si jeunes interprètes avec autant de qualités.

Un grand merci à la Direction de l’Opéra d’Avignon de nous avoir permis d’entendre une distribution d’un niveau si élevé qui a réussi à sublimer cet ouvrage.

Corinne Le Gac

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