Macbeth au Théâtre des Champs-Elysées

Macbeth au Théâtre des Champs-Elysées
Photo: Vincent Pontet

Après le triomphe d’Atilla (mars 1846) Verdi, sans doute surmené, s’était accordé quelques mois de repos bien mérités. Délaissant les propositions que lui font Paris et Londres, à l’automne 1846 il accepte de monter un opéra à Florence : ce sera Macbeth. Sans doute pour défier ceux qui l’accusent de ne faire que des opéras « patriotiques » mais surtout parce qu’il estime que Macbeth est « une des plus grandes tragédies jamais écrite ». Il a toujours eu une totale vénération pour Shakespeare, mais ne pourra hélas jamais réaliser son rêve de composer cet ouvrage qui le hantait : Le Roi Lear. Il utilisera pourtant deux fois encore les pièces du célèbre dramaturge pour ses opéras Otello puis Falstaff.

La nouveauté et particularité de Macbeth réside dans la parfaite synthèse de la tragédie anglaise avec la musique du bel canto (finissant) italien. La fusion idéale de la musique et du drame, que l’on retrouvera plus tard dans des œuvres comme Don Carlo et surtout Otello. La totale cohésion de ces deux éléments va déstabiliser un grand nombre de critiques, qui iront jusqu’à traiter cet ouvrage de « bizarre » et même de « vulgaire ». La première aura lieu le 14 mars 1847 à Florence et sera un triomphe absolu. Pourtant Verdi se remet au travail et en 1865 une nouvelle version, modifiée et avec ballet, sera jouée en français à Paris. Les modifications seront ensuite reportées dans la version italienne qui se joue de nos jours, mais le ballet est presque toujours supprimé afin de maintenir jusqu’au bout toute la tension dramatique.

Le prélude nous plonge immédiatement dans cette atmosphère lourde et inquiétante, même si la mélodie des cordes tente de l’alléger. Le ton devient très solennel dès l’arrivée de Macbeth mais la tension redouble avec la prophétie des sorcières. La nomination de Macbeth en qualité de Sir de Glamis provoque chez ce dernier une terrible angoisse, au lieu de le réjouir. Son désir de dominer est réel mais il est incapable de le réaliser, de s’imposer, surtout face à sa femme la terrifiante Lady Macbeth. Nous sommes dans un rapport de force entre dominé et dominant(e) ; c’est elle qui manipule son monde, c’est elle qui veut prendre sa revanche et s’imposer par tous les moyens. « Ambizioso spirto tu sei Macbetto… » chante-t-elle mais c’est Son bras qui conduira Macbeth à accomplir son destin. Elle saisira d’ailleurs immédiatement sa chance avec l’arrivée providentielle du Roi Duncan. Le drame se joue à ce moment précis et Macbeth le pressent dès sa première vision du poignard (« …mi si affaccia un pugnal…). Il tuera le Roi et ce geste sera pour lui le début d’une longue descente aux enfers que rien ne pourra arrêter, si ce n’est sa propre mort. Il s’enfoncera de plus en plus dans un monde oscillant sans cesse entre réalité et visions, savamment entretenu par son épouse dont l’esprit dérangé se dégradera au fur et à mesure des crimes commis.

Il n’existe pas dans l’œuvre de Verdi un autre personnage féminin aussi intéressant, et c’est là également que l’on peut parler de maturité dans l’art de sonder l’âme humaine. On ne peut bien évidemment s’empêcher de la rapprocher de Iago dans Otello, dont elle pourrait être la sœur jumelle : mêmes ambitions, mêmes déterminations, mêmes fêlures ! Des êtres néfastes dont seule la mort peut nous débarrasser, mais qui hélas ne laisseront derrière eux que des larmes.

Musicalement nous avons affaire à une partition particulièrement aboutie et mature. Les moments forts sont entre autre la scène du somnambulisme de Lady Macbeth mais également le banquet avec notamment l’apparition du spectre de Banco (visible seulement par Macbeth) qui déclenche chez ce dernier une véritable crise d’hystérie. L’autre personnage incontournable (comme souvent chez Verdi) est le chœur, dont l’air « patria opressa… » nous fait immédiatement penser à la très célèbre prière de Nabucco (« Va pensiero… »). Ne passons pas sous silence les interventions des sorcières qui, en étant le lien entre le monde réel et celui des mystères, deviennent un personnage à part entière.

Le personnage de Macbeth est interprété par Roberto Frontali. Il en fait un homme totalement soumis à la volonté de sa femme : il en est l’esclave physique/sexuel et psychologique. A quoi bon se rebeller puisque je suis perdant d’avance ? Pour employer une expression très moderne on dirait : un looser ! Vocalement le timbre est hélas assez pauvre en couleurs, banal, avec un manque fréquent de légato qui conduit à un chant haché et des phrases écourtées par manque de tenue de la colonne d’air. C’est regrettable d’autant plus que la voix est claire, puissante, et la diction parfaite.

Macbeth au Théâtre des Champs-Elysées
Photo: Vincent Pontet

Plus difficile à juger est la Lady Macbeth de Susanna Branchini. Scéniquement la femme est belle et l’interprète parfaitement crédible, mais vocalement elle laisse perplexe avec des aigus sonores mais un médium très étouffé créant un réel déséquilibre dans son chant. On a parfois l’impression de n’entendre que la moitié de ses phrases, ce qui est vraiment désagréable. Néanmoins elle donne une scène du somnambulisme très aérienne, avec de jolis sons filés.

On sait que Verdi avait une passion pour le timbre de baryton mais n’aimait pas les ténors. C’est la raison pour laquelle il composait souvent un air périlleux, qu’il plaçait en début d’ouvrage, afin de mettre l’interprète en difficulté. Ici rien de cela ! Macduff n’a qu’un seul air situé en fin d’ouvrage (… »o figli, o figli miei…), ne comportant pas de grandes difficultés vocales, mais si son intervention est discrète c’est quand même lui qui va tuer Macbeth, ce qui en fait un personnage incontournable ! Il est ici interprété par Jean-Francois Borras, qui a obtenu un triomphe surprenant à la fin de son air et aux saluts. Certes il n’a pas démérité, que ce soit vocalement ou scéniquement, mais il n’y a rien d’exceptionnel dans son chant. Il possède un vrai timbre de ténor, sa voix est bien conduite, quoique affectée d’un léger vibrato, mais c’est tout : honnête sans plus.

Les autres rôles étaient bien à leur place, créant ainsi une belle unité tout au long de l’ouvrage.

Personnellement je pense que le grand triomphateur de cette soirée a été le chœur. Qu’il s’agisse des sorcières, des invités du banquet ou du peuple au dernier acte, tous étaient parfaits. Leurs interventions ont été à chaque fois remarquées et très remarquables. Le « patria oppressa… » de l’acte 4 fut un modèle du genre, un grand moment d’émotion, de communion.

Dans l’ensemble la direction de Daniele Gatti a été correcte même s’il a opté pour des choix de tempi très discutables, nous entrainant parfois dans une sorte d’ennui, c’est-à-dire à des années-lumière de la partition écrite par Verdi.

Le Théâtre des Champs-Elysées a confié la mise en scène au cinéaste italien Mario Martone et c’est une bonne chose. Il apporte une vision à la fois très cinématographique mais néanmoins extrêmement respectueuse de l’œuvre. Sa conception est en totale opposition avec ces « relectures » modernes, qui sont hélas de plus en plus fréquentes. Ici pas d’élucubrations dénaturant l’ouvrage ! C’est la sobriété qui fera ressortir l’âme humaine de chaque personnage et nous concentrera uniquement sur le drame qui se joue. Il y a des chevaux (des vrais), une table de banquet, des trônes, la forêt de Birnham… bref tout ce qui est écrit/décrit dans le scénario, pardon dans le livret. Ici pas de décors qui puissent dater l’œuvre mais des éclairages qui soulignent l’essentiel. Les appartements ne sont que 3 portes symbolisées par un encadrement lumineux. Les apparitions de Banco pendant la scène du banquet sont en fait des projections sur le dossier du trône de Macbeth et le résultat est saisissant. Quant à la forêt de Birnam, elle est également représentée par des projections sur des panneaux de voile coulissants : du plus bel effet. Merci aussi aux chevaux qui nous ont fait une belle démonstration de « cabotinage ». Bravo au sabbat des sorcières auquel nous participons directement grâce à un miroir incliné qui nous fait profiter de ce qui se passe dans le « chaudron » (une trappe dans laquelle une femme est en train de bouillir !!!). De plus, les chanteurs étaient tous parfaitement dirigés, ce qui est assez rare de nos jours pour être souligné.

En conclusion merci au T.C.E. d’avoir programmé cet ouvrage qui n’est hélas pas assez joué, eu égard à cette sublime partition musicale qui place Verdi au sommet de son art.

Corinne LE GAC