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Parmi les ouvrages composés par Giacomo Puccini, Madame Butterfly est celui qui devait lui rappeler de mauvais souvenirs puisqu’il fut composé pendant l’immobilisation de son auteur en raison d’une fracture à la jambe provoquée par un accident de voiture. Un retard de 8 mois qui lui aura peut-être permis de peaufiner ce personnage qui semblait lui tenir particulièrement à cœur. Ne disait-il pas : « … j’aime les êtres qui ont un cœur comme le nôtre, qui sont faits d’espérance et d’illusions, qui sont des éclairs de joie et des heures de mélancolie, qui pleurent sans hurler et souffrent avec une amertume tout intérieure ». Cette phrase pourrait résumer à elle seule cet ouvrage.
Ici pas d’héroïne spectaculaire et vengeresse comme dans La Tosca, pas de femme déjà condamnée comme dans La Bohème, pas d’être complexe comme Turandot ou Manon Lescaut et pas de femme tourmentée comme dans Le Villi. Seulement une toute jeune femme qui confond rêve et réalité et qui en meurt. Là tout n’est que douceur, délicatesse, sensibilité et fragilité. D’ailleurs l’héroïne ne se nomme-t-elle pas Cio-Cio-San, ce qui signifie papillon en japonais ? Comme ces fragiles insectes, il émane d’elle une sensation immédiate de fragilité qui donne instinctivement envie de la protéger. La musique l’illustrera à merveille avec notamment une opposition entre le monde de Butterfly (l’Orient) et celui de son « mari » américain qui représente l’Occident. Pour composer cet ouvrage Puccini étudiera la culture, la musique et les rites japonais. L’épouse de l’Ambassadeur à Rome lui procurera des mélodies japonaises et c’est d’ailleurs l’une d’elle (« Nihon Bashi ») que l’on peut entendre à la fin des noces de Butterfly. Néanmoins Puccini n’a jamais voulu tomber dans un exotisme de pacotille, sauf peut-être lors de l’arrivée du personnage de Yamadori, mais il s’agissait alors d’une touche d’ironie. Musicalement il se situe encore dans l’élan romantique du 19ème siècle, mais entre de plain-pied dans ce que l’on appelle le vérisme dont il sera considéré comme le chef de file en Italie.
La production présentée à l’Opéra de Marseille est née dans cette ville en 2002 puis a été reprise en 2007 tout en tournant sur d’autres scènes. Quelques modifications y ont été apportées, en accord avec la personnalité des interprètes mais aussi parce qu’une mise en scène doit évoluer sous peine d’ennuyer. Pas de révolution de la part de Numa Sadoul, mais une lecture fidèle au livret qui permet à tous les intervenants de rentrer immédiatement dans cette histoire tragique et oh combien émouvante. De très jolis moments comme par exemple le rêve/cauchemar de l’enfant au dernier acte, et surtout cette image finale de l’héroïne expirant bras en croix contre le poteau d’appontement, telle le papillon cloué dans le tableau.
Dans le rôle de Butterfly nous entendions pour la première fois sur cette scène la soprano bulgare Svetla Vassileva. Physiquement elle incarne parfaitement la jeune femme gracieuse, virevoltante, naïve. Vocalement, après avoir eu un peu de mal à rentrer dans la partition pendant les toutes premières phrases, elle a pris de l’assurance et développé un chant à la fois puissant et raffiné. Le timbre est chaud, velouté, superbe, avec un sens inné du légato et des aigus très assurés. L’adieu à son enfant aura été le moment le plus émouvant de l’ouvrage et la salle a retenu son souffle jusqu’à la dernière note avant de la remercier par une ovation amplement méritée.
Il n’en a pas été de même pour son partenaire le ténor roumain Teodor Ilincaï, légèrement contesté au moment des saluts. Il est vrai que ce rôle de Pinkerton peut être un piège si on le travaille insuffisamment. Il ne suffit pas de pouvoir placer tous les aigus écrits dans la partition si à côté la ligne musicale est négligée. On ne doit pas oublier que cet ouvrage n’est pas encore vériste à 100% et que la mélodie y est grandement présente. Or qui dit mélodie dit légato et c’est malheureusement ce qui fait défaut à ce ténor, même si on le remarque moins que dans son précédent rôle d’Alfredo de La Traviata chanté sur cette même scène en 2014. Il a tendance à « passer en force » et à ne pas assez soutenir sa colonne d’air ce qui fait que la fin des phrases est escamotée et donc quasiment inaudible. C’est dommage parce que le timbre est très agréable, les moyens sont là, mais mal utilisés. L’acteur est bon et joue parfaitement le soldat qui se paie un caprice sans réfléchir aux conséquences dramatiques de son acte. Il n’est pas foncièrement méchant, il est seulement inconscient, irresponsable, immature.
Pas d’immaturité en revanche pour le consul Sharpless interprété par le baryton brésilien Paulo Szot. Sans cesse déchiré entre son rôle officiel de représentant des Etats Unis d’Amérique et celui d’ami et « entremetteur » pour cautionner ce mariage, Puccini lui a écrit de très jolies pages lyriques. Après (lui aussi) une entrée un peu hésitante vocalement parlant, son chant magnifique prend rapidement le dessus et nous laisse entendre un timbre somptueux et velouté. Le phrasé est parfaitement maîtrisé, le médium bien soutenu, et il donne même quelques aigus avec une facilité qui ferait pâlir certains ténors. Sur cette scène nous l’avions aimé dans Eugène Onéguine en 2004 mais il s’était surtout révélé à nous dans son rôle de Donato de Maria Golovine, ce chef d’œuvre joué en 2006 sous la direction de son compositeur Gian-Carlo Menotti. Souhaitons le retrouver souvent !
Belle première prestation ici de la mezzo Cornélia Oncioiu dans le rôle trop court de Suzuki. Un joli timbre, une belle projection, mais aussi beaucoup d’émotion et d’abnégation dans son jeu. A entendre à nouveau dans une partition plus développée pour mieux l’apprécier.
Un excellent Goro interprété par le ténor français Rodolphe Briand qui sait parfaitement mettre en avant ce rôle qui, il ne faut pas l’oublier, est à la base du drame. Tout a été organisé minutieusement par cet entremetteur de métier, qui n’a aucune morale, et dont le seul but est de vendre ces femmes pauvres à celui qui aura suffisamment d’argent pour les acheter : un véritable proxénète ! Vocalement comme scéniquement l’interprète est parfait ;
il n’y a rien à lui reprocher. Le timbre est clair, la voix bien projetée, la ligne de chant sobre et élégante et le jeu de scène idéal.
Un grand bravo également à tous les autres rôles, qu’il s’agisse du Bonze terrifiant de Jean-Marie Delplas ou du très effacé Yamadori de Camille Tresmontant sans oublier la très jolie Jennifer Michel en épouse officielle.
Comme dans la quasi-totalité des ouvrages lyriques, le chœur tient une place importante et c’est encore le cas dans cette œuvre. On ne pourrait que retenir le fameux et célèbre chœur à bouche fermée du dernier acte, mais ce serait ignorer sa présence dès le début lors de la cérémonie de mariage. Encore une fois il faut féliciter cette phalange pour son excellent travail sous la direction d’Emmanuel Trenque.
On peut également féliciter l’orchestre de l’Opéra de Marseille dirigé par Nader Abbassi qui a su parfaitement rendre avec élégance toutes les couleurs de cette superbe partition faite à la fois de finesse et de violence. Finesse du Japon mais violence des passions amoureuses, qui dévasteront le cœur de ce pauvre papillon tel un tsunami emportant tout sur son passage.
Merci à la Direction de l’Opéra de Marseille de nous avoir permis de revivre de si jolis moments.
Corinne Le Gac
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