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Pour être tout à fait honnête je dois avouer que je ne connaissais pas du tout l’existence de cette œuvre que l’Opéra de Marseille a judicieusement intercalée entre les représentations de Madame Butterfly de Puccini. L’histoire est identique, inspirée du roman de Pierre Loti, et raconte les amours d’une geisha avec un officier de marine. Il s’agit d’une comédie lyrique en 4 actes et un prologue composée par André Messager (1853-1929), plus connu pour ses opérettes (Véronique, Fortunio, l’Amour Masqué, Coups de Roulis…) et ses musiques de ballets (Les Deux Pigeons, Scaramouche…). La première représentation fut donnée le 12 décembre 1893 sous la direction du compositeur lui-même. L’ouvrage ne connut hélas que fort peu de représentations et tomba rapidement dans l’oubli en raison semble-t-il d’un scénario un peu trop plat, manquant de rebondissements.
Il est tout à fait injuste d’avoir laissé cette œuvre tomber dans l’oubli. La musique est très agréable à écouter, légère, vivante, parfois proche de la comédie musicale, sauf dans le dernier acte où elle se fait plus grave pour mieux coller à l’action (la séparation du couple). C’est d’ailleurs là le principal point faible de cet ouvrage : l’action et la musique traînent en longueur, s’étirant inutilement compte tenu de l’issue inévitable. Si l’histoire est commune à celle de Madame Butterfly de Puccini, l’atmosphère elle est totalement différente. Pas de prémonition du drame, pas de passion excessive, pas de suicide. L’ouvrage illustre la rencontre de deux mondes différents, l’Orient de Chrysanthème et l’Occident de Pierre, sans pour autant qu’il y ait un « choc des cultures ». Ici tout se passe bien : deux adultes se rencontrent, s’enrichissent l’un l’autre, puis se séparent parce que la vie est faite ainsi. Il n’est pas question d’attachement profond ni de volonté de vouloir dominer l’autre : seulement quelques moments agréables puis chacun retourne à sa vie.
Il est également injuste de n’avoir offert à cet ouvrage qu’une version concertante. La musique, l’action très enlevée et un plateau vocal de ce niveau justifieraient grandement une version scénique. Vous allez me répondre que cela va coûter cher avec le risque de ne pas être suffisamment représenté sur d’autres scènes. C’est vrai mais je souhaiterais savoir combien de théâtres ont acceptés de monter Colomba, représentée l’année dernière sur cette scène, ouvrage dont la qualité musicale est très nettement inférieure (pour ne pas être désagréable) à celle de M. Messager.

Vocalement nous avions sur scène ce qui se fait de mieux actuellement. Outre Annick Massis, qui n’est plus à présenter, et qui nous livre ici toute l’étendue de son talent, nous avons eu le grand plaisir d’entendre une distribution presque intégralement française. Exception faite du M. Sucre de Xin Wang dont hélas nous n’avons rien compris à ce qu’il chantait (heureusement son rôle est très court). Encore une fois Mme Massis nous a régalé par son phrasé impeccable, son agilité vertigineuse, la fraicheur de son timbre et son interprétation si vivante. A ses côtés nous avons la joie de retrouver Lucie Roche tout à fait délicieuse et mutine en Madame Prune (et Madame Fraise) et Sandrine Eyglier une formidable Oyouki à la voie toujours bien placée et au chant facile. Un remerciement tout particulier à cette dernière interprète pour avoir, encore une fois, chanté tout son rôle sans partition. Je trouve un peu regrettable de ne pouvoir profiter ni du visage des chanteurs ni surtout de cette projection face au public. Il ne faut pas oublier que lorsqu’on a « le nez dans la partition » le son est projeté vers le sol ce qui est préjudiciable pour l’écoute du public (je referme la parenthèse). Côté masculin nous avons eu également beaucoup de chance d’entendre de fort belles voix. Dans le rôle de Pierre, Jean-Pierre Furlan nous a gratifié d’un chant puissant, très assuré, et il faut l’en remercier parce que cette partition est loin d’être facile ; elle requiert un fort ténor qui doit tenir jusqu’à la fin et cela a été le cas. A ses côtés, dans le rôle d’Yves, le baryton Yann Toussaint nous enchante tout d’abord par une voix particulièrement bien timbrée et ensuite par un chant irréprochable. Quel bonheur de retrouver Rodolphe Briand en Monsieur Kangourou, l’entremetteur, le clown, l’amuseur. Cet artiste a vraiment beaucoup de talent et lui aussi serait certainement beaucoup plus à l’aise dans une version scénique. Sa voix est claire, assurée, et son jeu inégalable.
Merci à tous ces interprètes pour avoir pris le temps d’apprendre une partition hélas oubliée.
Je ne peux pas conclure sans parler du chœur de l’Opéra de Marseille toujours parfaitement à sa place, quoique serré à cause du décor de Madame Butterfly. Il me reste également à remercier le jeune chef d’orchestre Victorien Vanoosten qui a su rendre ce spectacle vivant et agréable grâce à sa direction enlevée mais néanmoins attentive.
Corinne Le Gac
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