Le Festival de musique ancienne d’Innsbruck présente cet été trois opéras baroques, Merope, l’oeuvre la plus connue de Riccardo Broschi, la Dori de Pietro Antonio Cesti et Ottone, re di Germaniade Haendel. Ce dernier opéra a connu sa première hier soir dans la cour de la faculté de théologie et, comme c’est désormais la tradition, était interprété par de jeunes étoiles montantes du chant baroque montantes très prometteuses.
Pour cet opéra dans lequel des femmes portent le pantalon et ont le dernier mot, la mise en scène a été confiée à la talentueuse Anna Magdalena Fitzi, une comédienne et metteure en scène de théâtre bien connue des scènes allemandes et qui livre ici sa première mise en scène d’un opéra baroque. Fitzi a dû composer avec l’exiguïté du lieu, une cour en forme de parallélogramme entourée d’une bâtisse de trois étages et dont l’étage inférieur est composé d’arcades. Elle a utilisé une des longueurs du rectangle en guise de scène, les arcades et les fenêtres du premier étage, le côté droit accueillant l’orchestre. Le lieu ne permettant pas des décors de «palais romains au front audacieux» ou de ports recevant les navires rescapés de batailles navales, la metteure en scène a transposé toute l’action dans le huis clos d’un hôtel qui accueille les six personnages en quête de pouvoir, comparant les jeux d’influences politiques de la période othonienne du 10ème siècle à ceux très actuels d’un G7 ou d’un G20. Un hôtel romain accueille les protagonistes qui y arrivent chargés de leurs bagages. Les arcades devant et sous lesquelles circulent les participants au grand jeu politique reçoivent des fauteuils, une table et des chaises (décors et costumes de Bettina Munzer). Une estrade permet la circulation devant les arcades ; l’action est surtout centrale, mais on s’interpelle aussi depuis le côté cour ou le côté jardin, ou des fenêtres du premier étage.
La mise en scène se concentre surtout sur la psychologie des personnages, une mise en scène empathique, qui s’attache à comprendre chacun des caractères et à en souligner les motivations sans prendre de parti. Aux chanteurs d’en donner les nuances et la progression dans leurs arias da capo. Les émotions sont à fleurs de peau et, sauf peut-être Teofane, aucun des participants ne semble avoir le contrôle ni de ses émotions ni des ses actes. Les menaces de mort ou de suicide sont constantes, tous les moyens sont bons pour arriver au pouvoir ou pour le conserver et les émotions ont une telle ampleur qu’elles ne semblent pas supportables, mieux vaut mourir. Les gardiens de l’hôtel ont bien du mal à désarmer les clients. Anna Magdalena Fitzi utilise aussi les techniques de la commedia dell’arte pour soulager la tension dramatique par des moments comiques avec les procédés habituels d’une gestuelle fortement soulignée. Tout cela donne un spectacle de fort belle venue.
Fabrizio Ventura, qui à Münster fut longtemps directeur musical des Tage der Barockmusik et directeur artistique du Festival Musica Sacra Münster, dirige avec beaucoup de finesse et d’intelligence musicale les excellents interprètes de l’Accademia La Chimera en connaisseur éclairé de la musique baroque. Mais ce sont plus encore les jeunes chanteuses et chanteurs baroques qui trouvent ici une occasion dorée d’exposer leur savoir-faire. La mezzo Marie Seidler tient le rôle-titre avec une interprétation très sensible de la langueur amoureuse désespérée de cet empereur germanique qui, malgré sa récente victoire navale, ne parvient visiblement pas à dominer ses émotions. Cet opéra aurait pu s’appeler Teofane, à l’instar du livret dont il est tiré, car c’est bien la fille de l’empereur byzantin qui mène le jeu et parvient davantage que les autres à se dominer et à obtenir en fin de compte le pardon impérial final et à favoriser la réconciliation générale. Le rôle est superbement tenu par la soprano Mariamielle Lamagat, troisième prix du Concours Cesti 2018, qui en a donné une brillante interprétation, extrêmement nuancée, le fruit d’une travail minutieux qui donne sens à chaque son, avec une voix mélodieuse bien articulée dotée d’une belle projection. Une des plus belles révélations de la soirée. Angelica Monje Torrez apporte la chaleur ambrée de son beau mezzo au personnage de Matilda. La jeune mezzo Valentina Stadler, qui fait partie de la troupe du Gärtnerplatztheater de Munich depuis 2017, compose une Gismonda autoritaire et dominatrice avec une maturité vocale impressionnante. Le contreténor espagnol Alberto Miguélez Rouco habite avec talent le personnage falot d’Adelberto. Last but not least, Yannick Debus interprète avec une vigueur peu commune et un jeu très physique le bouillant corsaire Emireno qui se révèle n’être autre que Basilio, le frère de Teofane.
Un spectacle en coproduction que l’on pourra encore voir pour deux soirées (les 20 et 22 août) à Innsbruck puis au Festival Haendel de Halle 2020 ou au Festival international Haendel de Göttingen 2020.