Opéra de Munich: La Favorite de Donizetti, ce dimanche en live stream sur la Staatsoper.TV

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Opéra de Munich: La Favorite de Donizetti, ce dimanche en live stream sur la Staatsoper.TV
Opéra de Munich: La Favorite de Donizetti, ce dimanche en live stream sur la Staatsoper.TV

La Favorite de Donizetti n’avait plus été présentée à Munich en version scénique depuis une centaine d’années. Cet opéra où Donizetti s’essaye au grand opéra à la française fit partie du répertoire de l’Opéra de Paris depuis sa création en 1840 jusqu’en 1918, puis en disparut de la scène jusqu’en 1991. 

Wagner faisait peu de cas cet opéra qu’il connaissait bien puisque en 1840 il était à Paris, connaissant alors une situation financière déplorable qui l’obligea à réaliser des travaux qui l’intéressaient peu pour subsister, notamment pour le compte de l’éditeur de musique Schlesinger. Wagner réalisa à sa demande la réduction pour piano et chant de la partition de Donizetti, publiée chez Schlesinger. Il en parle dans son autobiographie: « Schlesinger, qui avait perdu beaucoup d’argent sur les derniers opéras d’Halévy, avait acheté les droits de la Favorite oeuvre extrêmement indigente, mais que le public parisien, déjà tombé très bas à cette époque, avait beaucoup applaudie. Exploitant la situation désespérée qu’il me connaissait, Schlesinger fit irruption un matin chez moi, rayonnant d’une joie grotesque ; il me demanda du papier et une plume et précisa, sous mes yeux, les recettes énormes qu’il avait décidé de m’attribuer. Il écrivit : « «La Favorite. Arrangement intégral pour piano. Arrangement pour piano à deux mains, sans paroles. «Dito» à quatre mains. Arrangement complet pour quatuor. «Dito» pour deux violons. «Dito» pour cornet à piston. Pour ce travail, onze cents francs. Avance immédiate de cinq cents francs». »  Ailleurs, dans son article sur Halévy et la Reine de Chypre`qu’il publie en 1842, Wagner attaque encore  Donizetti en évoquant « sa manière commode et lâche ». Mais on connaît le profond mépris de Wagner pour la ‘superficialité latine’ qui selon lui réduit l’opéra à un divertissement jouant sur les effets, qu’il oppose à la profondeur germanique. 

C’est précisément avec des compositeurs comme Halévy et Meyerbeer que Donizettisemble vouloir rivaliser avec La Favorite, une oeuvre dans laquelle il se rapproche de la manière du grand opéra à la française.  Le livret composé par Alphonse Royer et Gustave Vaë,  originellement prévu pour L’Ange de Nisida, un opéra qui ne fut jamais représenté suite à la faillite de la troupe qui devait le porter à la scène, avait été revu par Eugène Scribe. On y retrouve les caractéristiques du grand opéra avec l’ importance accordée aux décors et aux effets scéniques dans la représentation d’une intrigue basée sur un événement historique dramatique.

Si Amélie Niermeyer, la metteure en scène de la nouvelle production munichoise, apprécie les effets de scène bien amenés, elle renonce cependant aux décors historiques somptueux en donnant une lecture anhistorique de La Favorite et en optant pour des décors minimalistes, réalisés par Alexander Müller-Elmau. Les costumes contemporains de Kirsten Dephoff nous éloignent de la cour sévillane du Roi Alphonse X qui en 1340 était en guerre contre les Maures. Pendant l’ouverture, la scène embrumée est nue et entourée de neuf immenses blocs qui montent à hauteur de cintre, grillagés d’ un fin treillis; un homme et une femme se rencontrent, c’ est le coup de foudre, ils s’embrassent. Amélie Niermeyer y préfigure la rencontre de Léonor de Guzman et de Fernand. Lorsque la lumière se fera dans les blocs, on y apercevra des madones douloureuses entourant pour le bloc du centre un Christ en croix très ensanglanté, seul élément au kitsch assuré  qui rappellera la couleur locale andalouse, et des plantes vertes luxuriantes.Si Niermeyer a opté pour l’abandon de la référence historique, c’ est qu ‘elle favorise une approche psycho-sociologique de la figure de Léonor (Elīna Garanča) qui vise à mettre en relief la condition féminine de la courtisane et le machisme tant de ses amants que de la société. Une femme de la beauté de Léonor n’a pas le choix de refuser de devenir la maîtresse du Roi que Niermeyer transforme en une espèce de parrain mafieux qui se croit tous les droits et abuse de ses prérogatives. L’état de Léonor état s’aggrave encore lorsqu’elle croise l’amour, car cet amour est impossible et ne peut conduire qu’à la mort. Ni Alphonse (Mariusz Kwiecien) ni Fernand (Matthew Polenzani) ne voient Léonor comme une personne à part entière. Le Roi la traite comme une putain royale, un morceau de choix qu’il se réserve; Fernand, s’il en tombe éperdument amoureux, ne communique pas avec Léonor, il la transforme en un objet amoureux et s’imagine que le refus de Léonor est dû à sa condition sociale inférieure à la sienne. Aucun des deux protagonistes ne s’intéressent à Léonor comme une personne à part entière. En abandonnant le décorum historicisant, Niermeyer met les projecteurs sur le jeu des acteurs et sur leurs interactions, demandant aux chanteurs des qualités d’interprétation théâtrale, un défi d’ailleurs brillamment relevé. Les choeurs quant à eux représentent les contraintes sociales et morales d’une société placée sous la férule de la religion. Les protagonistes finissent pas se heurter aux grillages des blocs-vitrines devenant l’image de la toute-puissance de l’Eglise. 

Le mobilier est constitué d’une grande quantité de chaises que les choristes installent sur le plateau à leur entrée en scène. La disposition et l’ordre ou le désordre des chaises comme les déplacements des neuf blogs qui servent de vitrine ecclésiastique  vont servir de discours visuel à la dramatisation de l’action. Des chaises déposées sans bruit et bien alignées et des blocs espacés du premier acte, on passera progressivement à une disposition encombrante et chaotique des chaises qu’il devient difficile de contourner et qui font obstacle,  et à une pression des blocs grillagés qui se déplacent vers le centre, repoussant même des chaises vers l’avant de la scène. La pression et l’oppression montent, le mobilier y fait écho, le Christ ensanglanté se contorsionne sur le croix et Léonor finira à genoux, les bras en croix, agnelle crucifiée, immolée par le désir des hommes. Elle s’aplatira enfin sur le sol, face contre terre et les bras en croix, comme une novice qui fait ses voeux. Ainsi Léonor sur le plan symbolique et Fernand dans la réalité scénique prennent-ils tous deux les voeux religieux. Mais ces prises de voeux purificatrices ne permettent pas aux amants de se retrouver, sinon dans la mort. Le décor des  chaises qui paraît un élément de mise en scène plutôt banal dans la première partie prend plus de sens en seconde partie par sa participation à la montée de la tension dramatique. Avant cela la scène du mariage sur le
thème de la mariée était en noir est également marquante avec les invitées munies de fleurs de lys, signes habituels de pureté et de chasteté, dérisoires dans le cas de Léonor chez qui elles rappellent davantage la marque infamante infligée aux prostituées et qui serviront plus tard à la fouetter.

C’est donc à un numéro d’acteurs qu’ on est conviés et de ce point de vue, la soirée est un régal, particulièrement pour le jeu théâtral d’Elīna Garanča qui donne une Léonor scéniquement très aboutie et  séduit par sa voix chaude et sensuelle de mezzo, qui dispose d’une belle étendue et  de beaux graves,  mais dont le français reste souvent incompréhensible au point qu’on doit se référer aux surtitres en allemand pour saisir le sens du chant. Matthew Polenzani  est par contre parfaitement compréhensible, et doté d’une excellente diction; il travaille avec bonheur chaque phrase et convainc dans le rôle de Fernand, si tant est qu’on lui passe sa manière d’aborder les aigus. Le chanteur américain termine ses envolées lyriques en baissant le volume et en chantant l’aigu d’une voix légère et flûtée là où l’on attendait de la bravoure. La diction du baryton Mariusz Kwiecien est elle aussi impeccable et sa prestation recueille de francs applaudissements, notamment pour la composition de son personnage. Le Balthazar de Mika Kares est lui aussi très apprécié:  le chanteur finnois met son imposante stature et sa basse vibrante et sonore au service du rôle étonnamment protecteur d’un supérieur du couvent qui fait preuve de mansuétude et de beaucoup moins de rigueur que ne le laissent entendre les menaces d’excommunication de sa hiérarchie. On retrouve avec plaisir le soprano aux clartés cristallines d’Elsa Benoit, qui fait à présent partie de la troupe du Bayerische Staatsoper et campe ici une excellente Inès. Le ténor de Joshua Owen Mills en Don Gaspard participe de la même fraîcheur. Quant aux choeurs, on peut célébrer comme de coutume la beauté du chant, le bât blesse du côté de la prononciation française, incompréhensible à quelques rares passages près.

Karel Mark Chichon dirige le Bayerische Staatsorchester en donnant un ton italien à une musique qui se veut française et dont il souligne bien le langage orchestral. Soucieux d’une bonne coordination avec le plateau, il offre une vision équilibrée de l’oeuvre, avec ces passages abrupts d`une musique lente et intériorisée à une musique grandiloquente et fracassante. 

Un spectacle d’une belle tenue dont la dramatisation  progressive donne ses meilleurs effets aux deux derniers actes. 

Prochains rendez-vous: les 6 et 9 novembre 2016 et les 26 et 27 juillet 2017 dans le cadre des Münchner Festspiele

Retransmission intermet live ce dimanche 6 novembre à 18 heures sur la STAATSOPER.TV

Luc Roger

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