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Au printemps 2011, le chorégraphe Christopher Wheeldon créait à la Royal Opera House de Covent Garden Alice’s adventures in Wonderland, un ballet en deux actes (remanié en trois dès 2012) sur une musique originale de Joby Talbot et un scénario de Nicolas Wright largement inspiré de l’oeuvre de Lewis Caroll, comme on pourra le lire dans le synopsis du scénariste. Six ans plus tard, Wheeldon est venu à Munich encadrer de ses conseils la compagnie du Bayerisches Staatsballett. La première qui a eu lieu hier a fait un triomphe.
Synopsis de Nicolas Wright
Acte I Oxford, 1862
Durant la garden party organisée par la famille Liddell, Lewis Carroll, un ami de famille, divertit trois jeunes sœurs avec un récit et des tours de magie. L’une d’entre elles, Alice, est amie avec le fils du jardinier, Jack. Il lui offre une rose et en retour, elle lui donne une tarte à la confiture. Mais la mère d’Alice accuse Jack d’avoir volé la friandise et le congédie. Tandis qu’un curieux cortège d’invités fait son apparition, Lewis Carroll cherche à consoler Alice. Alors qu’il s’apprête à la prendre en photo, il disparaît derrière le rideau noir de l’appareil et réapparaît en Lapin Blanc pour s’engouffrer aussitôt dans la mallette de l’appareil. Alice le suit et plonge dans un mystérieux et merveilleux monde. Jack est le Valet de Cœur, accusé du vol d’un plateau de tartes par la méchante Reine de Cœur qui a lancé ses gardes à ses trousses. Alice aperçoit un jardin par le trou d’une serrure, mais elle ne peut y accéder. Elle trouve un breuvage qui la fait rapetisser puis un gâteau qui fait d’elle une géante. Elle nage dans une mare formée de ses propres larmes en compagnie d’étranges créatures, puis organise une course pour les réconforter. Elle rencontre dans une petite maison une Duchesse en train de bercer un bébé (tandis qu’un cuisinier transforme des cochons en saucisses), un valet-grenouille et un énigmatique Chat de Chester. Le Lapin Blanc et le Valet de Cœur, inquiets pour Alice, lui interdisent de suivre ces derniers et lui bandent les yeux. Entracte
Acte II
Alice est encore plus désorientée lorsque elle demande son chemin au Chat de Chester et finit par se retrouver aux côtés d’un Chapelier Fou, d’un Lièvre de Mars et d’un Loir bizarrement réunis autour d’un thé. Elle s’enfuit mais rencontre aussitôt une chenille exotique, perchée sur un champignon, qui la réconforte et lui donne un morceau de champignon avant de disparaître. Elle pénètre enfin dans le jardin, peuplé de splendides et étranges fleurs, où elle retrouve pour son plus grand plaisir le Valet de Cœur. Mais la Reine n’est pas loin et le Valet s’échappe à nouveau, suivi du Lapin Blanc et d’Alice. Entracte
Acte III
Trois jardiniers sont en train de peindre en rouge des rosiers blancs qu’ils ont plantés par erreur, ceux-là mêmes que la Reine déteste. La Reine arrive sur place et ordonne que les jardiniers soient exécutés. Elle fait ensuite étalage de ses qualités de danseuse puis commence avec la Duchesse une partie de croquet avec des flamants roses en guise de maillets et des hérissons pour balles. Lorsqu’elle accuse la Reine de triche, la Duchesse échappe de peu à l’exécution. Le Valet de Cœur est finalement capturé et amené au château pour être jugé. Tous les personnages colorés témoignent et accusent le Valet tandis que le procès vire à la foire d’empoigne. Sa défense étant peu convaincante, Alice intervient : il est innocent, insiste-t-elle ; s’il existe un coupable, alors c’est elle. Ensemble, ils se lancent dans une plaidoirie finale qui leur fait reconquérir le cœur de l’assemblée, à l’exception de la Reine qui s’empare d’une hache. S’ensuit alors une course poursuite. Ne réussissant à s’enfuir, Alice renverse un témoin. Qui tombe sur un autre, tombant lui-même sur un troisième, jusqu’à ce que la cour toute entière s’effondre : après tout, c’est juste un jeu de cartes. Et, au milieu de ce chaos, Alice se réveille. (Un texte de Nicolas Wright)
Le ballet
On a pu s’étonner que le ballet londonien montât un ballet narratif, un projet plutôt inhabituel dans le monde du ballet contemporain. Mais cette aventure fut d’emblée une réussite grâce à la synergie des compétences de créateurs extrêmement talentueux dans leur domaines particuliers: à Wheeldon, Talbot et Wright, déjà cités, il faut ajouter Bob Crowley pour les décors, Natascha Katz pour les lumières et John Driscoll et Gemma Carrington pour les projections vidéo.
La narration chorégraphiée est nettement plus élaborée que dans les ballets narratifs traditionnels, avec un enchâssement des plans narratifs qui se dévoilent les uns après les autres comme lors du démontage d’une poupée russe, jusqu’à la surprise du dernier tableau où l’on découvre une Alice et un Jack du 21e siècle lisant et fôlatrant amoureusement devant une demeure victorienne devenue salon de thé, et un troisième personnage passionné de photographie, qui se livre à la pratique de son art. On se rend alors compte que toute la narration n’a été que le flash-back du rêve issu de la lecture du livre qu’Alice tient à la main. La maison victorienne est celle du premier acte où la mère d’Alice donne une garden-party hyper guindée. Lewis Caroll qui y est invité pratique lui aussi la photographie mais aussi des tours de magie.
Et justement, à propos de magie, elle occupe une place centrale dans la mise en scène et la conception des décors, qui utilisent abondamment les effets visuels des montages vidéos. Tout le spectacle est une grande féerie dont la réussite tient aussi aux conseils avisés d’ un expert en magie, Paul Klieve, un consultant bien connu pour avoir contribué aux effets spéciaux de la série de films mettant en scène les aventures d’Harry Potter. L’équipe de Christopher Wheeldon nous entraîne dans un délire visuel extrêmement bien mené et cadencé, les spectateurs sont aspirés dès l’entame du spectacle dans le vortex tourbillonnant d’impressions d’un spectacle halluciné et hallucinant. Absolutely fabulous!
Les emboîtements et la magie sont encore complétés par la mise en abyme du spectacle dans le spectacle: un petit théâtre dressé sur scène accueille le numéro de claquettes du chapelier fou. Quant à la féerie, elle est amplifiée par le contraste de son contraire, l’horreur de l’usine à viande, où un cochon est transformé en saucisse, et des bouchers armés d’énormes tranchoirs tout prêts à exécuter les sentences de mort de l’horrible Reine de Coeur. Les trouvailles scéniques se succèdent, comme par exemple les sapins mobi
les que déplacent des figurants dont on aperçoit les seuls visages verdis ou celle de la représentation de l’énorme chat de Cheshire dont les parties se démembrent se reconstituent dans un incroyable ballet, avec une queue tordante qui ressemble à un long ver lorsqu’elle est détachée du coprs. La partie de croquet est elle aussi particulièrement cocasse, où des flamants roses, représentés par des danseuses porteuses d’un gant figurant la tête de l’oiseau, servent de maillets.
Nicolas Wright, s’il suit bien la progression du récit de Lewis Caroll, y a apporté de nouvelles dimensions: si l’Alice de Caroll a 10 ans, celle de Wright est à l’âge des amourettes et de la rébellion adolescente. Le scénariste double l’histoire merveilleuse de la gamine qui poursuit un lapin retardataire des amours juvéniles ente Alice et Jack, un jeune homme bien sympathique qui , crime capital dans le monde victorien, n’appartient pas au milieu social des parents d’Alice et que la mère de la jeune fille, une femme acariâtre et méprisante, chasse avec fracas. Au pays des merveilles, la mère réapparaît sous la forme de la Reine de Coeur, et Jack sous celle du valet de Coeur. On se demande comment une jeune fille aussi accorte peut bien être la fille de l’horrible et implacable marâtre.
Si le langage chorégraphique de Christopher Wheeldon est néo-classique, il est cependant top original pour qu’on le cantonne de ce qualificatif. Ainsi, si, comme dans les ballets narratifs, chacun des protagonistes reçoit on lot de numéros solos, et que les solos sont précédés ou suivis d’ensembles, on n’a que peu l’impression d’assister à un spectacle traditionnel, tant les événements se bousculent sur scène. Bien mieux que dans une narration détaillée par un découpage des numéros, le spectacle se révèle dans un grouillement de scènes qui se superposent sans perdre pour autant le fil conducteur. Ce que Wheeldon et son équipe donnent à voir dépasse la capacité d’absorption du spectateur le plus attentif. On est constamment tenu en haleine par un déluge d’impressions visuelles et sonores. Et une abondance si bien menée donne envie d’un reviens-t-en!
La musique de Joby Talbot, brillamment interprétée par l’Orchestre d’Etat de Bavière dirigé par Myron Romanul, nous entraîne dans le ruissellement magique de ses percussions. Elle a son propre contenu narratif qui entre en correspondance avec la narration chorégraphique et visuelle. Souvent proche de la comédie musicale, elle rappelle par certains aspects la composition straussienne du Chevalier à la rose, notamment par l’introduction soudaine de valses entraînantes, et par le recours aux leitmotivs. Le régal visuel du spectacle n’a d’égal que la délectation sonore.
Cet extraordinaire appareil est servi par des danseurs et des danseuses tout aussi extraordinaires. Maria Shirinkina, est une Alice de rêve, tendre, délicate, avec une maîtrise technique qui lui donne une légèreté aérienne et une fluidité toute empreinte de grâce et de féminité. Maria Shirinkina, qui a déjà fait les beaux jours du prestigieux Mariinski, a rejoint cette saison la troupe du Bayerisches Staatsballett en qualité de première soliste. Le fabuleux Vladimir Shklyarov, son mari dans la vie, interprète son jeune amant de coeur sur la scène, dans une danse osmotique enchanteresse, résultat d’une technique et d’une complicité parfaites. Ces nouvelles stars de la scène munichoise sont entourées de danseurs étoiles très appréciés du Ballet de Bavière: Javier Amo en Lewis Caroll / Lapin blanc, et Séverine Ferrolier dans une interprétation somptueuse de la mère /Reine de coeur, où la première danseuse développe magistralement un personnage cruel et entêté qui n’est pas sans rappeler Cruella d’Enfer ou, peut-être plus encore, la Miranda Priesly du Diable s’habille en Prada, si formidablement jouée par Meryll Streep. Une mention particulière doit être décernée à Henry Grey pour son Radjah et sa chenille, avec sa danse ondulatoire d’une souplesse et d’une maléablité hallucinantes. Jonah Cook, qui a fait une progression fulgurante ces dernières années au sein de la troupe du Bayerisches Statsballett, réussit un époustouflant numéro de claquettes en chapelier fou et magicien. Enfin, on s’amuse beaucoup du numéro travesti de Matej Urban en duchesse hommasse.
Un spectacle qui enchantera petits et grands, à déguster ans modération, à voir et à revoir!
Il y a encore de la place pour certaines représentations au moment de publier cet article, mais plus pour longtemps. Le battage médiatique devrait être à l’aune de l’immense succès de la première!
Prochaines représentations
Les 20, 23, 28 et 30 avril
Les 4, 19 et 29 mai
Le 16 juin et le 3 juillet
Ensuite reprise en octobre, décembre 2017, et avril et mai 2018
Pour réserver via internet, cliquer ici
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