Remarquable mise en scène d´Eugène Onéguine par Markus Bothe au Semperoper de Dresde

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Remarquable mise en scène d´Eugène Onéguine par Markus Bothe au Semperoper de Dresde
Remarquable mise en scène d´Eugène Onéguine par Markus Bothe au Semperoper de Dresde

Le metteur en scène Markus Bothe donne à Dresde une lecture claire de l´oeuvre de Tchaikovsky, il situe l´action à l´époque de sa composition, en restitue bien la mentalité, et en travaille de manière très dynamique les tensions dramatiques. Une ligne claire qui ne s´encombre pas d´interprétations mais souligne les rouages du drame romantique, une mise en scène toute au service de l´oeuvre, de la musique et du chant.

Bothe anime l´ouverture par la rencontre muette de Tatiana et d´Onéguine. Le coup de foudre est immédiat, l´épisode de la lettre enflammée de Tatiana se voit aussi représenté. L´introduction de ce tableau initial transforme le récit en flash-back.

Robert Schweer a conçu le décor sobre d´une grande salle parquetée et lambrissée de boiseries blanchâtres avec des tissus muraux au damas bleu. Les changements de décor se font par des coulissements latéraux de cinq ou six sections du plateau qui s´entrecroisent: des éléments de décor ou de mobiliers sinon des groupes entiers de personnages sont ainsi transportés venant de la gauche et de la droite de la scène pour former de nouveaux tableaux. N´étaient-ce les couinements de la machinerie, ce procédé est d´une efficacité scénique remarquable pour marquer tant les changements de décor que, comme c´est le cas pour la scène finale chez les Grémine, pour effectuer un saut temporel. Ainsi la grande pièce vide de l´ouverture se meuble-t-elle de balles de foin cylindriques et des paysans conviés à la fête des moissons, de l´élégant voisinage venant fêter l´anniversaire de Tatiana et plus tard encore des invités en tenue de soirée conviés au bal donné par le Prince Grémine. L´intelligence du changement de décors dynamise l´action et correspond par ailleurs fort bien à la rythmique enjouée de la musique de Tchaikovski. Les costumes simples et beaux d´Esther Geremus sont en communion tonale avec l´esprit de cette mise en scène réussie.

 C´est à une véritable fête musicale aussi que nous convie le Semperoper de Dresde en plaçant à la tête de l´orchestre le chef finnois Pietari Inkinen, un jeune chef brillant et dynamique qui, après un parcours néo-zélandais, japonais et australien (il dirigea le Ring à Melbourne en 2013), préside aujourd´hui aux destinées de l´Orchestre national pragois. C´est une de ses compatriotes, l´incomparable et séduisante Camilla Nylund, qui chante Tatiana avec un talent scénique confirmé: son interprétation d´une jeune fille timide un peu misanthrope, dont le caractère renfermé couve les braises d´une nature romantique et exaltée et qui se transforme en une femme d´une noblesse souveraine, est des plus remarquable, avec sa voix puissante, riche en couleurs et admirablement bien projetée de soprano dramatique. Christoph Pohl était annoncé en Onéguine mais, souffrant, a été heureusement remplacé par Günter Papendell, qui vient de débuter dans le rôle en 2015 à Berlin dans une mise en scène de Barrie Kosky. Markus Bothe fait d´Onéguine un être charmant, sarcastique et bouffon qui fait le baise-main à la vieille gouvernante Filippievna (excellente Tichina Vaughn) tout en faisant mine d´ignorer la maîtresse de maison Madame Larine (Sabine Brohm) et qui offre avec dérision deux épis de blé à Tatiana en lieu et place d´un bouquet de fleurs. Papendell incarne de son bayton puissant un être dont le cynisme provocateur cache les malaises profonds et tourmentés. Le ténor Roman Payerchante Lenski avec un beau phrasé d´une grande tendresse sans toutefois atteindre l´expression paroxystique du déchirement attendu dans le «Kyda kyda». Anke Vondung donne une fraîcheur charmante au personnage d´Olga.Georg Zeppenfeld confère quant à lui toute l´autorité de sa basse profonde au Général Grémine. Enfin soulignons l´excellence des choeurs dirigés par Jörk Hinnerk Andresen, qui, après avoir fait les beaux jours du Gärtnerplatztheater munichois, s´est vu depuis 2015 confier la direction des Choeurs de l´Opéra de l´Etat de Saxe.

Luc Roger

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