Un magnifique Simon Boccanegra en la personne du baryton roumain Georges Petean, apportant toute l’autorité qui convient au rôle du Doge mais également toute la tendresse d’un père.
“Si la Fenice ne veut pas de Simon Boccanegra, je le garderai !”.
Tels sont les mots de Giuseppe Verdi à l’encontre de la Direction de la Fenice de Venise, qui trouve décidemment cette histoire bien trop compliquée. Il est vrai que le livret de Piave, s’inspirant d’une pièce de l’espagnol Antonio Garcia Gutierrez, est loin d’être compréhensible par tous. Il y a tellement d’invraisemblances, de non respect des unités théâtrales (notamment l’unité de temps), qu’on comprend pourquoi sa création à Venise le 12 Mars 1857 fut un fiasco encore plus retentissant que celui de La Traviata quatre ans plus tôt, dixit VERDI. L’ouvrage fut donc remanié en profondeur, le livret confié désormais à Boito ; il fut présenté à nouveau le 24 Mars 1881 avec succès cette fois. Là où le bât blesse principalement dans cette œuvre, est dans l’inutile complication de l’action. Gutierrez avait déjà usé de cette histoire d’enfant enlevé et élevé sous une fausse identité pour Le trouvere. Il veut récidiver mais cette fois cela ne marche pas parce que le nœud de l’action est ailleurs : ici la connotation est avant tout politique ! Il faut tout le génie de la musique de Verdi pour créer un chef-d’œuvre sur une histoire aussi tortueuse, pour ne pas dire tordue. Musicalement nous avons affaire à une partition totalement aboutie dans laquelle on retrouve toutes les caractéristiques Verdiennes : le lyrisme (notamment dans les duos père-fille, toujours très réussis chez ce compositeur), la fougue héroïque incarnée par le ténor, la solennité de Fiesco (qui pourrait être le frère jumeau de Philippe II dans Don Carlo), et la lente agonie magnifiée.
La production de l’Opéra Grand Avignon en ce dimanche 22 Mars résume parfaitement la difficulté de mettre en scène cet ouvrage. Difficulté de dater un prologue puis de proposer la suite de l’ouvrage se déroulant 25 ans plus tard. Scéniquement c’est une véritable gageure mais le metteur en scène Gilles Bouillon a réussi ce tour de force ; il a opté pour l’intemporalité ! Pas d’époque très définie dans les costumes ni dans les décors, réduits par ailleurs à leur plus simple expression.
Pour lui la priorité est l’ouvrage, l’action, les voix, et en cela il a gagné son pari. Grace aux magnifiques lumières de Michel THEULT, les costumes de Marc Anselmi ressortent bien et les décors de Nathalie Holt apportent une discrète présence.
Cette sobriété permet donc de mieux apprécier les interprètes vocaux, et c’est une bonne chose.
Les rôles masculins ont largement dominé le plateau avec trois superbes voix de baryton et basse, sans oublier le ténor qui a très honorablement tenu son rang. Un magnifique Boccanegra en la personne du baryton roumain Georges Petean, apportant toute l’autorité qui convient au rôle du Doge mais également toute la tendresse d’un père. Son timbre est superbe, rond et chaud, avec une vocalité bien maîtrisée, une projection impressionnante et une personnalité très affirmée. A ses côtés le Fiesco de Wojtek Smilek trouve enfin un rôle à la hauteur de son immense talent. Jusqu’à présent trop souvent cantonné dans des rôles de moindre importance, il peut ici exprimer toute la plénitude de sa belle voix de basse. Il faut espérer que les théâtres continueront à lui faire confiance en réalisant enfin qu’ils tiennent là une très belle basse, qui ferait un magnifique Philippe II dans le Don Carlo de Verdi. Dans le rôle du « méchant de service » on trouve le superbe baryton Lionel Lhote dont l’autorité vocale s’impose immédiatement, faisant de son personnage l’égal des deux précédents. Le ténor albanais Guiseppe GIipali au timbre toujours aussi agréable et à la musicalité exemplaire, dresse un très joli portrait de ce Gabriele Adorno partagé entre son désir de vengeance et l’amour qu’il porte à Amélia. Cette dernière, interprétée par Barbara Havenmann ne m’a pas totalement convaincue. Pas de véritables reproches à lui adresser si ce n’est qu’elle n’est pas exactement faite pour chanter ce rôle. Nous avons entendu une voix particulièrement puissante mais pas toujours maitrisée, des aigus souvent à la limite du cri, avec surtout un manque évident de légato qui l’empêche d’exprimer au mieux toute la beauté de ce chef d’œuvre notamment dans les piani.
Bravo à tous les autres participants vocaux mais également à l’Orchestre Régional Avignon-Provence sous la baguette de Maître Alain Guingal. Sa direction est particulièrement attentive, non seulement à ses pupitres mais aussi au plateau. Il arrive à transcrire toute la puissance et l’émotion de cette partition et pour cela nous le remercions.
En conclusion, un magnifique ouvrage superbement interprété dans Opera Grand Avignon: que demander de plus ?
Corinne Le Gac