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Le Festival Haendel au Badisches Staatstheater de Karlsruhe a confié la mise en scène de l’opus magna de Haendel à un jeune metteur en scène américain, James Darrah, qui opte pour des moyens à minima. Adieu somptueux décors et costumes baroques, couleurs luxuriantes, île enchantée et animaux sauvages. L’option de deux parois aux beiges de sables avec quelques giclées dorées et séparés par un ensemble de fils qui descendent en faisceaux des cintres et servent d’entrée de coulisses vers le fond de la scène fonctionne à rebrousse-poil de l’essence même de l’opéra baroque. La paroi du fond reçoit les projections vidéo d’Adam Larsen qui se focalisent sur l’expression corporelle des chanteurs. Un long mur d’un brun sombre qui semble fait d’un sinistre agglomérat de corps pétrifiés viendra signifier les victimes de la magicienne dévoreuse d’hommes. Détruit au troisième acte, il laissera surgir tous ces êtres ensorcelés, résurrection de corps déguenillés qui peinent à reprendre vie, épuisés par un trop long sommeil. Au sein du mur se trouvait un vieux projecteur, unique instrument des pauvres prestidigitations d’Alcina, si peu magicienne, si faiblement magicienne et dont les seules armes étaient en fait les artifices de la séduction.
Pas de magie scénique donc. Pour accompagner le chant haendelien qui module longuement de mêmes phrases, James Darrah a misé sur l’expression corporelle et la danse, assisté pour les chorégraphies par Adam Larsen. Mais là encore les moyens mis en place se révèlent à minima. Ne se révèle pas mime qui veut et l’art complexe de l’expression corporelle se réduit ici à la triste palette des attitudes les plus conventionnelles. Les personnages restent souvent figés dans des poses sensées exprimer les différentes facettes du désespoir ou de l’incertitude amoureuse que Darrah traduit par de fréquentes prostrations, des agenouillements répétés ou des allongements sur le sol. Dans la scène finale de Morgana et Oronte, Oronte tourne longuement le dos à Morgane et à la salle par le même fait, puis Morgane exprime son désespoir en se cachant tout aussi longuement le visage dans les mains. Ce genre de procédé ne met vraiment pas en valeur les talents scéniques supposés des chanteurs. En misant sur l’expression de stéréotypes, la mise en scène passe à côté de la magnificence de la représentation du baroque, et le chant haendelien, qui explore et détaille minutieusement les moindres recoins de l’émotion dans la répétition incessante mais extrêmement nuancée d’une même phrase, ne reçoit pas ici le soutien si nécessaire de la théâtralisation.
Les plus grands bonheurs de la soirée viendront de la fosse. La direction musicale d’Andreas Spering, spécialiste renommé des musiques anciennes, valorise les exceptionnelles compétences des solistes haendeliens de l’orchestre et la musique s’énonce précise, souveraine, sans maniérisme aucun, soulignant la palette émotionnelle de la partition. La soprano canadienne Layla Claire fait preuve d’une présence scénique imposante et soutient la longue partie d’Alcina avec une puissance vocale qui semble passer sans efforts les sept longs arias du rôle. David Hansencampe un Ruggiero fort léger et discret qui ne pèse pas fort lourd face au volume sonore déployé par sa dévoreuse amante. La prestation est certes élégante et connaît de glorieux moments de bravoure vocale, mais le poids du combat contre les forces maléfiques semble davantage reposer sur les épaules de la Bradamante de Benedetta Mazzucato qui enfile sans peine ce rôle de double travesti. Aleksandra Kubas-Kruk donne de beaux éclats métalliques à sa Morgana, mais déçoit par des vocalises par trop imprécises. Alexey Neklyudov donne un Oronte de belle prestance et Carina Schmieger un Oronte expressif et convaincant.
La belle ouvrage des musiciens et des chanteurs n’a pas pu compenser le parti pris d’une Alcina désenchantée réduite à la dramatique des méandres des passions amoureuses.
Luc Roger
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