Une soirée avec Jean-Philippe Lafont a L’Opéra-Comique

Jean-Philippe Lafont
Jean-Philippe Lafont

En ce jeudi 22 novembre l’Opéra-Comique (également connu sous le nom de salle Favart) nous conviait à une soirée particulièrement originale et novatrice, animée par Benoît Duteurtre et entièrement consacrée au grand baryton Jean-Philippe Lafont qui débuta sur cette scène en 1974 dans un ouvrage qu’il affectionne toujours autant La Flûte Enchantée de Mozart.

Cet artiste, que la carrière conduisit sur les plus grandes scènes du monde, est désormais un passeur. Quoi de plus logique, après plus de 40 ans de métier, que de vouloir à son tour transmettre sa passion pour les mots, pour la scène, pour le chant. Depuis plusieurs années il donne des classes de maître dans tout le pays afin d’aider de jeunes chanteuses/chanteurs à évoluer dans ce métier. Néanmoins il ne s’adresse plus seulement aux artistes lyriques, mais également à toutes les personnes qui ont besoin de s’exprimer correctement dans le cadre de leurs activités professionnelles. Comme il aime à le souligner, nous ne savons pas respirer. Il n’y a rien de méchant dans cette remarque puisqu’il entend seulement attirer notre attention sur l’importance de la bonne gestion du souffle, qui est la base d’une excellente expression orale. Tous ces conseils, que l’on peut d’ailleurs retrouver dans son livre « Avec Voix et Eloquence », sont très faciles à mettre en pratique et peuvent nous permettre de mieux parler donc de mieux chanter.

Sur la scène un piano, une table, et deux jolis fauteuils servent de décors à cette soirée. L’animateur entre pour prononcer quelques paroles d’introduction au spectacle, puis Jean-Philippe Lafont pénètre à son tour dans ce théâtre en effectuant une arrivée originale par la salle, salué par les spectateurs déjà conquis. L’émotion est palpable mais le bonheur de remonter sur scène l’emporte et la soirée est lancée. Les souvenirs sont égrainés au travers d’extraits de représentations, des photos, mais l’envie est la plus forte et notre baryton se lève pour interpréter le premier rôle qu’il chanta sur cette scène Papageno (La Flute Enchantée). Après l’évocation de quelques souvenirs il interprètera remarquablement le terrible Scarpia (Tosca de Puccini) dans un TE DEUM particulièrement impressionnant et très difficile à chanter sans le soutien de l’orchestre (seulement au piano). On sent la joie de pouvoir à nouveau chanter cet air, et le public répond à l’unisson en le gratifiant de chaleureux applaudissements oh combien mérités.

Le spectacle se poursuit avec des anecdotes de tournages de films, des extraits de moments forts de sa carrière, comme par exemple cette soirée d’inauguration de l’Opéra Bastille le 13 juillet 1989 au cours de laquelle il interpréta l’air d’Hérode dans l’ouvrage Hérodiade de Jules Massenet devant les plus grands chefs d’états de la planète :  inoubliable ! Après avoir évoqué cette partie de carrière, on arrive à un moment beaucoup plus douloureux (à tous niveaux) en faisant référence à sa chute en septembre 2016 sur la scène de l’Opéra Bastille (les années se suivent mais ne se ressemblent pas), qui mettait brutalement un terme à sa carrière scénique.  Peut-être un mal pour un bien puisqu’après des mois particulièrement pénibles, la chance allait à nouveau lui sourire lorsqu’on lui adressa un homme qui avait grand besoin de mieux s’exprimer pour espérer atteindre la plus haute marche du pouvoir. C’est ainsi que notre baryton donna des cours de perfectionnement oral à l’homme qui préside notre pays actuellement. Sa « seconde carrière « était lancée et c’est ainsi qu’il se consacre désormais à aider toutes les personnes qui ont besoin de mieux s’exprimer, que ce soit dans un cadre professionnel ou pas. Pour illustrer cette partie de carrière, il nous a régalé avec la tirade de Don Diègue dans Le Cid de Corneille où il a pu faire montre de tout son talent de récitant, d’acteur.

La dernière partie du spectacle fut consacrée à une très courte master-class avec un jeune baryton roumain, auquel il a symboliquement transmis un témoin en signe de passage de génération. Une master-class (ou classe de maître en français) consiste à améliorer et corriger une technique de chant et/ou d’interprétation. A ce niveau les élèves ne sont pas des débutants, mais ils ont besoin de cours de perfectionnement. Cet exercice est donc complémentaire de celui des professeurs de chant, sans jamais prétendre à les remplacer. Le travail du maître consiste alors à repérer d’éventuels défauts, à les corriger, mais aussi et surtout à mettre en évidence des points que l’élève ne soupçonne pas. Appuyer par exemple sur la projection du premier mot sans pour autant négliger le dernier qui, si tel était le cas, n’offrirait au spectateur qu’une partie de la phrase et rendrait le texte plus difficilement compréhensible. Insister ou pas sur tel mot, ponctuer adroitement le propos, s’attacher à la dynamique, apporter une couleur nouvelle, etc…bref tout ce qui peut aider à mieux chanter et interpréter un air : tout simplement passionnant !

Pour conclure ce très sympathique moment qui nous a semblé trop court, comment ne pas évoquer la passion de notre baryton pour la belle chanson française ? De Brel à Reggiani ou Nougaro, en passant par Bécaud et tant d’autres, Jean-Philippe Lafont nous a offert deux très jolies interprétations. Tout d’abord « Sarah » de Serge Reggiani tout en tendresse et sensualité, puis nous l’avons tous accompagné en tapant dans nos mains lorsqu’il a chanté « Nathalie « de Gilbert Bécaud. Une belle soirée en compagnie de son épouse Martine (artiste peintre, dont on a pu admirer quelques toiles projetées que l’écran de la scène), de leurs deux filles, des ami(e)s, sans oublier celle sans laquelle il ne serait jamais devenu ce qu’il est : Denise Dupleix, son (sa ?) professeur depuis le début.

De l’émotion, de la joie, du bonheur : le sublime cocktail qui définit à merveille celui qui nous a enchanté sur les plus grandes scènes du monde : Jean-Philippe Lafont.

Un grand merci à la direction de l’Opéra-Comique de nous avoir offert un tel spectacle, qui restera pour toujours dans les mémoires de tous les participants.

Corinne LE GAC