Vivaldi – La cinquième saison, un opéra BaRock au Volksoper de Vienne

Rebecca Nelsen (Annina Girò), Drew Sarich (Antonio Vivaldi)
© Barbara Pálffy/Volksoper Wien
Rebecca Nelsen (Annina Girò), Drew Sarich (Antonio Vivaldi)
 © Barbara Pálffy/Volksoper Wien

Le Volksoper de Vienne a repris cette saison avec grand succès Vivaldi, la cinquième saison l’opéra BaRock du compositeur  Christian Kolonovits et de sa librettiste Angelika Messner qui raconte l’histoire de la vie d’Antonio Vivaldi, la superstar de l’époque baroque.

Le fait que Vivaldi ait passé les derniers mois de sa vie à Vienne et y soit mort dans l’oubli a fourni le départ à la composition de l’opéra de Kolonovits. Le compositeur vénitien avait décidé de quitter la Sérénissime pour venir à Vienne participer à la saison d’opéra au Theater am Kärtnertor, mais il avait joué de malheur car la mort de l’empereur Charles IV interrompit toute représentation et lui fit perdre la protection qu’il en espérait. Vivaldi sombra dans l’indigence et l’oubli et mourut à Vienne misérable. Il fut enterré au cimetière de l’hôpital près de l’église Saint-Charles Borromée. Le cimetière fut désaffecté à la fin du 18e siècle, une université le recouvre aujourd’hui et on apposa simplement une simple plaque commémorative qui tient lieu de triste  mémorial.

Christian Kolonovits et Angelika Messner se sont sentis inspirés par la vie turbulente, passionnée et révoltée de Vivaldi, dont le caractère rebelle qui n’est pas sans rappeler les révolutions sociétales des années 1960. Kolonovits voit aussi des parallèles entre la musique baroque et la musique rock, notamment dans le jeu debout très expressif des musiciens.

Le parvis de l’ église Saint-Charles constitue le premier décor de Christof Cremer, crétaur aussi des extraordinaires cosstumes. On est en 2018. Une des quatre jeunes filles du  groupe de rock féminin «Vivaldi»  retrouve le journal intime de la gouvernante de leur idole, Paolina, dans lequel la vie de Vivaldi se déroule comme une tapisserie colorée qui déploie la fougue et la puissance créatrice du compositeur. La lecture du manuscrit fait basculer l’action dans le passé, l’opéra rock va nous raconter la vie tumultueuse du prêtre roux dans un opéra rock de musique contemporaine qui combine musicalement des éléments baroques.

Le prologue se déroule de nos jours sur la Karlsplatz à Vienne. Clara, Loni, Cati et Toni, quatre filles qui font partie d un groupe de rock appelé « Vivaldi », sont venues à Vienne à la recherche de la musique composée par leur idole dans la dernière année de sa vie. Elles sont très déçues de ne trouver qu’une plaque commémorant la mort du compositeur dans cette ville. Mais l’une des jeunes filles découvre un journal tenu par Paolina Girò, qui avait accompagné Vivaldi lors de son dernier voyage à Vienne.

Les quatre jeunes femmes plongent dans le passé … Venise, 1740. La gouvernante de Vivaldi, Paolina (Julia Koci) est en train de préparer le voyage de Vivaldi à Vienne, qui se sent est déprimé, notamment parce que la cantatrice Annina  qui est aussi sa maîtresse, vient de le quitter. Cela fait des mois qu’il n’écrit pas de musique!

Le printemps

Vivaldi rend visite à Carlo Goldoni (Boris Pfeifer) et lui demande d’écrire un livret. Il veut offrir son nouvel opéra à l’Empereur à Vienne. Le sujet  doit en être sa propre vie. Goldoni est d’accord. Quand Vivaldi se plaint que ses souvenirs se fanent et qu’il en perd le fil, Goldoni l’encourage à réinventer sa vie.

Le père de  Vivaldi est à la fois coiffeur et musicien. Sa mère, quant à elle, craint que la musique ne soit un art qui ne mène à rien. Le meilleur client dans le salon du barbier se trouve être le prêtre qui va devenir par la suite devenir le cardinal Ruffo. Il fait des propositions à Antonio, un gamin passionné de musique, violoniste doué,  et suggère à sa mère qu’elle devrait laisser son fils embrasser la carrière de prêtre. Antonio se sent vendu et trahi. Il essaie à plusieurs reprises de s’enfuir et se laisse entraîner dans la vie trépidante de Venise, sa ville natale. Au Ridotto, un casino de jeux, il est témoin d’une querelle: les filles orphelines de l’Ospedale della Pietà, qui sont censées s’y produire avec leur orchestre , refusent de jouer cachées derrière un écran. Gasparini, le directeur, essaie de les convaincre. Vivaldi intervient dans le conflit et promet aux jeunes filles qu’il les rendra célèbres bien au-delà des limites de Venise. Finalement, il donnera avec elles un concert  Ridotto.  Mais Ruffo y débarque avec un escadron de la police des moeurs et met un terme aux frivolités du Ridotto. Il force Vivaldi à l’accompagner. Le lendemain, Vivaldi est ordonné prêtre. Mais à peine ordonner, il parvient à arrêter de célébrer la messe, car il se dit allergique à l’encens. Ruffo se sent trahi par Vivaldi. Goldoni se réjouit de la ruse par laquelle Vivaldi a échapper aux fonctions de la prêtrise.

L’été

Vivaldi a obtenu un poste de professeur de violon à la Pietà. Les jeunes filles sont pleines d’enthousiasme pour leur nouveau professeur. Elles veulent toutes obtenir  le rôle de premier plan dans ses nouvelles oeuvres. Surviennent les sœurs  Annina et Paolina Girò. Annina porte un maquillage et un costume extravagants qui la font ressembler à la caricature d’une diva. Elle veut avoir des leçons avec Vivaldi, mais Vivaldi lui fait clairement comprendre que l’art véritable n’a rien à voir avec un style ostentatoire. Annina  obtient le rôle principal dans la nouvelle oeuvre de Vivaldi, au grand dam des orphelines qui espéraient toutes briller sous les feux de la rampe.  Lors de la fête qui suit la première, la noblesse de Venise répand des ragots scandaleux sur le prêtre et sa muse. Vivaldi est à l’apogée de sa gloire: l’empereur l’invite à venir à Vienne et lui demande une mèche de cheveux en souvenir.  Seul Ruffo, jaloux et envieux des succès de Vivaldi, enrage.

L’automne

L’étoile de Vivaldi pâlit, ses concerts sont annulés et il est lui interdit d’apparaître sur scène. Goldoni en déclare la raison: Vivaldi a été trop audacieux en faisant le pitre à l’église. Paolina conseille à Vivaldi de tenter sa chance à Rome. Mais Annina ne croit pas qu’elle puisse réussir comme chanteuse à Rome où les castrats règnent en maître sur scène et a de mauvais pressentiments. Paolina observe Vivaldi et sa sœur. Elle aimerait qu’au moins une fois dans sa vie quelqu’un la remarque et lui offre son amour, comme cela est arrivé à Annina.

Afin de  pouvoir se produire à Rome avec les orphelines de la Pietà, Vivaldi doit obtenir le consentement des cardinaux. Il les rencontre aux bains turcs. Le cardinal Ottoboni (Thomas Sigwald), qui est large d’esprit,  organise un concert dans son palais où le choeur des filles orphelines doit se produire avec Annina en soliste. Ruffo, qui est favorable aux castrats, tente d’interdire le concert. Ottoboni propose qu’un concours de chant qui opposera Annina au castrat Caffarelli départage le conflit. Annina se sent trahie par Vivaldi.Vivaldi veut cesser de travailler avec Goldoni, car il a accumulé trop d’expériences pénibles. Mais Goldoni l’encourage à aller plus loin, il faut que Vivaldi donne sa musique en héritage au monde.

L’hiver

Retour au temps présent : sur la Karlsplatz, les  filles du groupe rock lisent les dernières pages du journal: Vivaldi est en train d’écrire sa pièce, mais ses espoirs sont détruits par la nouvelle de la mort de l’empereur. Un an plus tard, Vivaldi meurt lui aussi. Mais les jeunes filles savent qu’elle peuvent continuer à faire vivre sa musique, c’est là l’avènement de la cinquième saison.

Thomas Lichtenecker (Cafarelli) © Markus Patak/Volksoper Wien
Thomas Lichtenecker (Cafarelli) © Markus Patak/Volksoper Wien

La pièce est portée par d’excellents chanteurs. Le ténor américain Drew Sarich interprète le prêtre roux avec une énergie peu commune, il joue avec un talent d’acteur consommé la complexité du compositeur vénitien qui traverse les vicissitudes d’une existence de musicien enthousiaste, rebelle et créatif, traversée par de moments de désespoir. Drew Sarich qui, âgé de 33 ans, a déjà une carrière impressionante dans le monde du music hall à son actif, est l’âme de la production. En contrepoint, Morten Frank Larsen prête la puissance et les beaux graves de son baryton au personnage du Cardinal Ruffo, un censeur moraliste qui n’est cependant pas dénué d’ambiguïtés, et dont le caractère trouble se révèle progressivement au cours de l’action. Ruffo veut clairement mettre le jeune Vivaldi sous sa coupe et en faire sa chose,  sa carapace vertueuse se lézarde lorsqu’il se fait le champion de la cause des castrats. Sa relation avec Cafarelli, interprété par l’étonnant contre-ténor Thomas Lichtenecker, est rien moins que trouble. La composition de Christian Kolonovits et la mise en scène de Robert Meyer rendent bien compte de l’atmosphère débauchée de la Venise de la fin du 18e siècle, avec ses maisons de jeux et ses prostituées, une décadence morale généralisée dont les moeurs dépravées du clergé tout-puissant ne sont pas la moindre indication. La production atteint son climax dans la deuxième partie de l’opéra avec la scène du bain de vapeur et celle du concours de chant chez Ottoboni. Les cardinaux torses nus, portant des jupes rouges  ouvertes et coiffés de leurs larges chapeaux à tresses et à glands d’or, conversent en prenant des mines efféminées dans un caldarium. C’est là que Vivaldi est envoyé par Ottoboni pour les convaincre de l’autoriser à se produire à Rome. Le compositeur est obligé de se retirer avec l’un puis l’autre cardinal et de sans doute leur offrir des services inavouables pour prix de leur consentement. Plus tard chez Ottoboni, le public des cardinaux et de leur entourage apparaît dans des costumes extravagants d’un jaune poussin qui mêlent le strass à la pluche, basse cour follasse qui se pâme devant les emplumages du castrat Cafarelli. Face à ce public effeminé partisan des castrats, la pauvre Annina, qu’interprète une remarquable Rebecca Nelsen, n’aura pas vraiment l’occasion de défendre sa cause. Les femmes n’ont pas leur place sur la scène des théâtres romains.

La fin de l’opéra rock brossera plus rapidement la fin pénible d’un Vivaldi qui aura perdu et la gloire et l’amour et qui joue de malchance dans son dernier épisode viennois. Le final se déroule à nouveau dans le décor de la Karlplatz. Le groupe rock Vivaldi reprend le flambeau, c’est la cinquième saison.

Cette bonne production est cependant  quelque peu desservie  par le cadre factice du théâtre dans le théâtre, qui met en scène le groupe rock Vivaldi redécouvrant la vie de Vivaldi,  et par l’invraisemblance de la découverte du journal intime de Paolina. Tout cela alourdit l’intrigue par l’introduction d’éléments narratifs supplémentaires qui insistent un peu lourdement sur les passerelles que l’on peut établir entre le rock et le baroque.

Le corps de l’action principale est par contre admirablement bien ficelé et la composition musicale de Christian Kolonovits, qui dirige lui-même son opéra, est entraînante, avec de belles transitions entre les motifs baroques et la musique rock. La production a attiré un nombreux public de teenagers et des groupes scolaires qui ont accueilli le spectacle avec un grand enthousiasme. On passe une excellente soirée, aussi instructive que divertissante.

Prochaine représentation: le 24 novembre 2018

Luc Roger