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La production de Xerxès appartient depuis sa création en 2012 au répertoire de l’Opéra comique de Berlin et connaît depuis lors un succès continu dû en grande parie au parti pris d’amusement de la mise en scène de Stefan Herheim qui, tout en privilégiant constamment les effets comiques, décode le propos du théâtre baroque en donnant à voir de manière appuyée la manière dont il produit ses effets. Les puristes haendeliens et les passionnés de reconstitutions historiques feront bien de passer leur chemin, les amateurs de bons divertissements seront par contre pleinement servis, constamment tenus en haleine par les multiples surprises de la mise en scène qui use abondamment des ficelles de la commedia dell’arte, actualisée façon muppet show, selon les propos du metteur en scène.
La mise en scène a choisi de systématiquement nous montrer l’envers du décor et propose ainsi à la fois une analyse des moyens mis en oeuvre. Le plateau tournant est utilisé pour nous transporter dans les pauvres coulisses d’un théâtre baroque, on y voit les comédiens à l’habillage et les monteurs transporter ou mettre en place les panneaux qui compartimentent les deux côtés de la scène. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre est constamment soulignée, Stefan Herheim y insiste, dévoile les artifices de l’illusion, décortique les procédés du comique. Ce parti pris empêche l’identification du public aux personnages dont on sait à chaque moment qu’ils sont des acteurs en train de jouer leur partie, on est ici conviés à jeter un regard amusé sur le monde du théâtre de représentation. Cet incessant décodage nous place aux antipodes du théâtre romantique. Les effets grossissants du grotesque sont privilégiés: toiles grossièrement peintes des décors, comédiens déguisés en grands moutons bêlants visiblement en rut, costumes de soldats emplumés et enjuponnés, recherche d’effets grotesques.Si quelques-uns des airs les plus célèbres sont chantés dans l’original italien, le texte est le plus souvent traduit en allemand, ce qui permet l’introduction d’allusions ou de prononciations régionales qui provoquent l’hilarité du public. La gaudriole rigolarde est au centre de l’action, un moment soulignée par la projection du palindrome du nom du roi, la lecture de XERXES donnant SEXREX, le roi du sexe, tout un programme. On n’est pourtant jamais dans la vulgarité car le regard analytique de la mise en scène sur les moyens du théâtre baroque entraîne une mise à distance qui sauve des mornes errements de la platitude. La rupture des codes est aussi présente dans les interactions entre les musiciens, le chef Konrad Junghänel et les acteurs: les acteurs descendent parfois dans la fosse, interpellent un musicien ou le chef qui leur répond. Et tout à la fin, les membres du choeur, très sollicités pour les changements incessants de costumes, se retrouvent en tenues de ville, les acteurs ont quitté les oripeaux du spectacle, soulignant encore une fois qu’il ne s’agissait que d’un spectacle.
La ronde et les changements du décor, la profusion des stimuli et la rapidité des interactions verbales font de ce spectacle une comédie d’action qui ne laisse pas toujours place au déploiement serein du chant et à l’expression des émotions qu’il devrait véhiculer, les chanteurs étant extrêmement sollicités parr le jeu théâtral. Stephanie Houtzeel déploie une énergie incroyable dans son interprétation très réussie de Xerxès, avec une technique vocale assurée, elle donne une composition amusante d’un roi des Perses un peu déjanté dont la gestuelle et l’oeil allumé n’est pas sans rappeler le Jack Sparrow de Johnny Depp. Cette interprétation qui conquiert le public à chaque représentation a valu à la chanteuse une nomination du prix du théâtre musical autrichien. La mezzo Franziska Gottwald donne un Arsamène très remarqué, d’une grande sensibilité, avec une voix chaude et riche en couleurs, bien projetée, une diction remarquable et une belle étendue avec des notes hautes vibrantes et des basses profondes, un régal! La Romilda de Nina Bersteiner est de belle tenue, expressive quoique un peu contrainte dans la répétition de ses protestations de fidélité. Ezgi Kutglu, annoncée souffrante, n’en laisse rien paraître et donne une Amastre très émouvante, excellente comédienne pleine de drôlerie dans le travestissement en soldat. Nora Friedrichs prête le cristal lumineux de son soprano colorature à Atalante, un intrigante qui finira par devoir se contenter de cet autre travesti qu’est Elviro interprété par Hagen Matzeit, un chanteur doublement talentueux qui passe d’un baryton sonore au mezzo de haute-contre et dont la transformation en marchande de fleurs mal rasée est d’une drôlerie des plus réussie.
Un excellent divertissement, très applaudi, qui répond pleinement aux attentes de public du Komische Oper de Berlin.
Luc Roger
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